COCOON: Home Sweet Home
Après deux albums de pop-folk absolument magnifiques, on n’attendait plus grand-chose de Cocoon. Il faut dire que l’on pouvait difficilement imaginer un disque du duo bordelais sans sa chanteuse… Passée cette courte phase de déception, il faut se rendre à l’évidence: Welcome Home est peut-être le meilleur album de Cocoon. Un album né dans la douleur, mais qui dégage une magnifique lumière. Rencontre avec Mark Daumail, son géniteur.
Mark Daumail: Cet album n’était pas vraiment prévu. Je suis devenu papa il y a un an et demi et, à la naissance, notre bébé est né avec deux malformations cardiaques. Rien n’avait pourtant été détecté pendant la grossesse… Il a été hospitalisé en urgence à Bordeaux. Mon épouse et moi sommes ensuite restés assez longtemps dans l'attente que notre fils soit opéré. Au bout de quelques semaines, j'ai demandé aux infirmières si je pouvais apporter ma guitare acoustique et lui jouer quelques chansons. J’en avais besoin et je sentais qu’il avait également besoin de ce contact. C’est marrant parce que cela faisait près de deux ans que cette guitare prenait les poussières dans un coin.
Happé par un tunnel de merde
GUIDO: Le bébé est resté longtemps à l’hôpital?
Mark Daumail: Il y a eu plusieurs allers et retours entre la maison et l’hôpital. Mais il est resté entre six et douze mois en couveuse… Avec plein de fils… C’était terriblement difficile. Mais quand je jouais de la guitare, il réagissait, il se passait quelque chose. Il bougeait parfois la tête. Un peu comme si la vie passait à travers le son de l’instrument. Forcément, j’ai continué à jouer. Et c’est ainsi que, de fil en aiguille, j’ai composé à l’hôpital une poignée de chansons plutôt lumineuses.
GUIDO: Tu venais de sortir un album électro-pop sous ton propre nom deux mois seulement avant la naissance de ton fils…
Mark Daumail: Exactement. Et vu les circonstances, je n’ai évidemment pas pu en faire la promo de manière efficace. En fait, cela faisait pas mal de temps que j’avais délaissé ma guitare acoustique au profit des synthés. Je n’avais absolument pas l’intention d’enregistrer un disque de Cocoon mais après quelques mois, j’avais écrit une poignée de chansons et très envie de les enregistrer…
GUIDO: Tu as composé d’autres chansons en rentrant à la maison?
Mark Daumail: La moitié des chansons, je les ai composées à l’hôpital. Ce sont les titres les plus joyeux de l’album. Les autres morceaux, plus mélancoliques et recueillis, ont été composés quand je suis rentré à la maison. Je pense que j’ai eu une sorte de contrecoup. Outre les chansons que j’ai écrites pour mon fils – les chansons de Papa – j’ai voulu parler de la famille en général. Du coup, j’ai parlé de mes grands-parents, de mes parents. De la question de l’héritage, de ce que l’on laisse à ses enfants. C’est le premier album pour lequel je me sens vraiment adulte dans les thèmes que j’aborde. L’importance de prendre du temps pour son couple sur Retreat, la vente de la maison de ma grand-mère décédée sur Up For Sale (en duo avec Matthew E. White). Et puis, Get Well Soon qui est peut-être la chanson la plus forte du disque car elle synthétise tout. Dans le son, on y retrouve la chorale gospel américaine. Et dans le thème bien sûr, qui est abordé de manière plutôt frontale. Cette chanson a été terriblement douloureuse à enregistrer. Mon fils était à l’hôpital et ma mère venait également d’être hospitalisée. Jusque là, j’avais été plutôt épargné par les problèmes. Et là, je me suis senti littéralement happé par un tunnel de merde. Malgré le thème et la douleur, la chanson est joyeuse. Lumineuse. Je trouve qu’elle représente très bien l’album en général et ferait un très bon second single…
Morgane de toi
GUIDO: Morgane n’est pas présente sur ce nouvel album. Elle a définitivement quitté le navire?
Mark Daumail: Non, absolument pas. Nous avions décidé de faire une pause en 2012 mais l’idée, c’était que l’on puisse retravailler ensemble. Au moment où nous avons mis le projet entre parenthèses, c’était tout simplement parce que j’avais envie de faire d’autres musiques, en l’occurrence de l’électro. Je l’ai contactée, bien évidemment mais elle était en studio avec Jean-Louis Murat et préparait un album solo. De plus, elle avait signé pour une tournée jusqu’en 2018. Morgane m’a d’abord demandé un délai de réflexion et je t’avoue que j’étais très angoissé à l’idée qu’elle puisse refuser d’enregistrer l’album avec moi. Je pensais franchement qu’elle allait dire oui mais sa réponse a malheureusement été négative. Lorsqu’elle m’a fait part de sa décision de ne pas participer, j’ai pas mal gambergé. Elle m’a dit «Vas-y, fais-le sans moi». Sincèrement, j’étais dans la merde car Morgane est irremplaçable. Elle a une voix fantastique, un talent de dingue. Il fallait que je trouve autre chose. Une autre couleur. Après avoir chanté plus de sept ans avec elle, c’était un coup dur.
GUIDO: L’album a été enregistré entre Bordeaux, Berlin et les États-Unis!
Mark Daumail: Je me suis rendu à Richmond, en Virginie, afin de travailler avec Matthew E. White. Matthew fait partie de mes héros. J’avais adoré ses deux albums, en particulier le premier. Lorsque je l’ai contacté pour lui demander de réaliser mon disque, je dois t’avouer que je ne m’attendais pas à ce que sa réponse soit positive. J’avais tenté dans le passé de me faire adouber par une scène que je trouvais plutôt tendance et je m’étais pris refus sur refus. Les choses se sont pourtant passées très simplement. Un mail, puis un coup de fil. Il a accepté. À Richmond, j’ai ensuite fait la connaissance de Natalie Prass, qui est signée sur le label de Matthew. J’avais adoré son album, que Sarah – mon épouse - et moi avions beaucoup écouté à l’hôpital. On la retrouve sur deux titres de Welcome Home.
GUIDO: Il y a également une chorale gospel américaine sur plusieurs titres…
Mark Daumail: Avant de me rendre à Richmond, je ne savais pas trop comment faire pour combler le vide lié à l’absence de Morgane sur l’album. Et puis, j’ai eu cette idée de chorale gospel… Au moment des premiers essais avec la chorale, je me suis dit «C’est OK, ce n’est pas si grave si Morgane n’est pas là»… C’était vraiment chouette et cela donnait une couleur très particulière à certains titres.
GUIDO: L'artwork de l’album est particulièrement réussi…
Mark Daumail: Je voulais avoir un visuel différent par morceau. Mon objectif, c’était que chaque chanson soit illustrée par la représentation d’un bâtiment. Pour Watch My Back, c’est une église. Pour Grandaddy, c’est une ferme, parce que mon grand-père avait des animaux. Une vieille maison un peu délabrée pour Up For Sale… J’ai fait une recherche sur Google et je suis tombé sur Esther Pearl Watson, une Américaine très talentueuse. Ces œuvres, c’est exactement ce que je recherchais. Je lui ai envoyé un mail et elle m’a demandé de lui envoyer les maquettes des chansons. Quatre mois plus tard, elle avait peint quatorze peintures originales, une pour chaque titre de l’album.
Cocoon: Welcome Home (Universal)
Photos: (c) Yann Orhan