Dr Jos: «Les clowns maléfiques? Que dalle! Les cliniclowns, ce sont eux les plus effrayants!»
On ne change pas les bonnes habitudes: je bois une Trappiste avec Dr Jos dans un café typique du centre-ville. Un vieux à la table d'à côté parcourt le journal en secouant la tête. «Des clowns maléfiques,» marmonne-t-il dans sa barbe. «Où va le monde?»
Dr Jos glousse. «Les clowns maléfiques. Quelle connerie,» s'exclame-t-il en trempant les lèvres dans sa Trappiste. «Une mode débile qui passera aussi vite qu'elle est apparue. En plus, les clowns maléfiques sont des lopettes. Les clowns les plus terrifiants d'entre tous, on les trouve dans les services pédiatrie des hôpitaux.»
GUIDO: Vous n'allez quand même pas oser critiquer les cliniclowns?
Dr Jos: (élude la question) Écoute, la figure du clown n'a jamais été appréciée. Elle a toujours suscité la crainte. Il y a toujours eu une ambiance louche autour d'elle. Les jeunes enfants ont tous peur des clowns. Cette peur porte même un nom: la coulrophobie. Eh bien, tous les enfants de deux ans souffrent de coulrophobie. Cela passe avec l'âge, mais chez 2% de la population, cette peur persiste. Ma question est donc la suivante: comment en est-on arrivé à penser que c'était une bonne idée d'envoyer des clowns au chevet des enfants malades? Et pourquoi pas des petits plaisantins sans maquillage, comme nous?
GUIDO: Euh...
Dr Jos: (continue) Les clowns, je les hais purement et simplement. Il n'y a rien de moins marrant qu'un clown. Je les trouve même effrayants. Prenons par exemple le premier clown recensé, un triste anglais du 18ème siècle qui répondait au nom de Grimaldi. Un mec heureux, hein: il passait d'une dépression à l'autre, ne comptait plus les douleurs dans ses articulations à cause de ses culbutes, sa femme mourut en couches et son fils se saoula à mort à l'âge de 31 ans. Plaisant. Et pour son alter-ego français Pierrot, ce fut encore pire. L'acrobate qui a imaginé ce monstre, un certain Jean-Gaspard Deburau, a été un jour moqué par un gamin des rues à Paris. Il l'a donc tué d'un coup de canne. Marrant, hein? Tu es en train de hurler de rire?
GUIDO: (encaisse)
Dr Jos: Et ce n'est pas tout. L'un des pires serial killers de l'histoire américaine fut John Wayne Gacy. Dans les années septante, Gacy viola et tua au moins 33 (jeunes) hommes, qu'il a ensuite cachés dans sa cave. Et tu l'as déjà deviné: Gacy était également connu sous le nom de 'Pogo the Clown' lors d'événements privés ou dans des fêtes d'enfants. Il n'y a rien de plus horrible qu'un clown. Le terme 'clown maléfique' est un pléonasme. Les clowns sont tous effrayants. Et tu sais pourquoi?
GUIDO: Vous allez certainement nous le dire…
Dr Jos: À cause d'un phénomène psychologique appelé la Uncanny Valley (la Vallée Dérangeante). C'est une réaction instinctive aux figures qui ressemblent à des êtres humains, mais n'en sont pas. En premier lieu, la courbe évolue vers le haut: le respect pour une figure - un dessin, une peluche, etc. - augmente selon qu'elle soit le plus anthropomorphique. Et ensuite, à un moment précis, ça bascule et la courbe plonge profondément vers le bas, dans une vallée. The Uncanny Valley. Soudain, une telle figure est ressentie comme angoissante, parce qu'elle ressemble trop à une figure humaine. C'est par exemple un problème en robotique: les robots qui ressemblent trop aux hommes font instinctivement peur. La même chose est valable pour les humanoïdes dans les films, les jeux vidéo ou les applications de réalité virtuelle. Et donc aussi pour les clowns. Les clowns font des culbutes à cause de leur apparence en plein milieu de la Uncanny Valley.
GUIDO: Pourquoi envoie-t-on alors des clowns dans les hôpitaux?
Dr Jos: Tout est la faute de Patch Adams, un Américain qui a initié cette tendance. Un médecin plutôt alternatif. Adams n'était pas un mauvais mec en soi. Il voulait faire le bien. Un vrai socialiste aussi, qui militait pour la gratuité des soins de santé. Le problème, ce n'était pas lui-même, mais le fait qu'il ait plus tard inspiré les cliniclowns, et maintenant on doit se les farcir. Les cliniclowns feraient baisser le niveau de stress et la douleur lors des traitements de jeunes enfants. (fait de grands yeux) Eh oui, quand on affirme une telle chose, encore faut-il pouvoir le prouver. Et mener des études, donc. Eh bien, pour une quelconque raison, je retrouve toujours les mêmes études italiennes et israéliennes à ce propos. Et de mauvaises études en plus: sur de petits nombres de patients, à l'aide d'une méthodologie douteuse - car on ne peut pas administrer de placébo lors d'une 'thérapie de clown' - et il semblerait que des résultats positifs aient été uniquement publiés afin de sécuriser leurs propres fonds. En plus, ces recherches se concentrent toujours sur des enfants âgés de quatre à douze ans. Pourquoi? Parce que les enfants de moins de quatre ans ont une peur bleue des clowns, alors qu'ils représentent le plus grand groupe de patients en pédiatrie. Et les enfants de plus de douze ans, eux, expulsent manu militari les clowns de leur chambre: ils trouvent les cliniclowns tout simplement ridicules. En bref, il n'a jamais été prouvé que les clowns à l'hôpital avaient un effet thérapeutique positif, même si leurs intentions sont peut-être louables. Au contraire, même.
GUIDO: Ils feraient donc mieux d'arrêter?
Dr Jos: (opine du chef) Si ça ne tenait qu'à moi: dès aujourd'hui même. (lève un doigt) Tu sais ce qu'ils devrait aussi urgemment stopper? Ces nez rouges de Viva For Life. Ils n'auraient pas pu imaginer un autre symbole pour mettre en lumière leur action? Un nez rouge est presque toujours un symptôme d'un sévère mal sous-jacent: une affection hépatique, ou un cancer… Il n'y a rien de marrant à ça!
GUIDO: (jette un regard préoccupé au vieil homme à la table d'à côté, qui a une énorme tache rouge sur le nez) Docteur, pas si fort…
Dr Jos: (jette un coup d'œil rapide sur le nez de l'homme et se racle la gorge) Serveuse! Encore deux Trappistes pour nous. Et un verre d'eau pétillante pour le clown à côté de nous.
René Van Caesbroeck
Dr Jos recommande la lecture des ouvrages suivants:
Zhang e.a., The effectiveness of pre-operative clown intervention on psychological distress:
A systematic review and meta-analysis, J Paediatr Child Health., okt. 2016
Dionigi e.a., A Combined Intervention of Art Therapy and Clown Visits to Reduce Preoperative
Anxiety in Children, J Clin Nurs., sep. 2016
Sridharan e.a., Therapeutic clowns in pediatrics: a systematic review and meta-analysis of
randomized controlled trials, Eur J Pediatr., okt. 2016
Dionigi e.a., Clowning in Health Care Settings: The Point of View of Adults, Eur J Psychol., aug. 2016
Saliba e.a., Salivary Cortisol Levels: The Importance of Clown Doctors to Reduce Stress, Pediatr Rep., mrt. 2016
Friedler e.a., Patients' Evaluation of Intervention by a Medical Clown Visit or by Viewing a
Humorous Film Following In Vitro Fertilization and Embryo Transfer, . J Evid Based Complementary Altern Med., feb. 2016
Manyande e.a., Non-pharmacological interventions for assisting the induction of anaesthesia in
children, Cochrane Database Syst Rev., jul. 2015
Messina e.a., Preoperative distraction in children: hand-held videogames vs clown therapy, Pediatr Med Chir., dec. 2014
Colletti e.a., Clown nose: a case of disfiguring nodular squamous cell carcinoma of the face, BMJ Case Rep., jan. 2014
Hansen e.a., Effect of a clown's presence at botulinum toxin injections in children: a
randomized, prospective study, J Pain Res., 2011
Van Blerkom e.a., Clown doctors: shaman healers of Western medicine, Med Anthropol Q., 1995
MacDorman e.a., Reducing consistency in human realism increases the uncanny valley effect;
increasing category uncertainty does not, Cognition., jan. 2016
Lewkowicz e.a., The development of the uncanny valley in infants, Dev Psychobiol., mrt. 2012
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