CALEXICO: Qui sème le vent, récolte le chaos

Après avoir arpenté les scènes du monde entier pendant plus de vingt ans, Joey et John reviennent avec un neuvième album studio sous le bras. Les nombreux fans y retrouveront ce son si caractéristique évoquant les grands espaces américains et les westerns spaghetti, mais ne manqueront pas de s’étonner de la rugosité de nombreux passages. Rencontre avec John et Joey, les deux piliers du groupe américain.  

GUIDO: Ce neuvième album est probablement le plus rugueux de votre discographie. Il marque en tout cas une évolution importante.

Joey: En tant que groupe, et en particulier lorsque l’on travaille avec des musiciens qui viennent des quatre coins du monde, les options sont sans fin. Depuis nos débuts, le groupe a beaucoup évolué. Nos influences sont de plus en plus larges et c’est quelque chose dont nous sommes extrêmement fiers. Nous avons pas mal de route derrière nous, et nous nous remettons en question pour chaque album.

«Avec Trump, on a fait un pas en arrière»
 

GUIDO: Le contexte de l’enregistrement de ce nouvel album est assez particulier. On ressent ainsi de la colère dans plusieurs titres.

John: Le monde a vécu un terrible choc il y a un an avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir. Dans certaines chansons, telles que Music Box, nous faisons référence à cela de manière très directe. Je trouve que l’album passe par plusieurs contrastes au fil des chansons. De la peur à l’espoir. De l’obscurité à la lumière. Ce disque est particulièrement marqué par la période chaotique que nous vivons actuellement, au niveau politique comme au niveau de l’environnement.

Joey: Chaque album est influencé par le monde dans lequel nous vivons. Nous sommes tous connectés. Lorsque tu es jeune, tu te dis que ce qui se passe au niveau politique n’a pas vraiment d’impact sur ta propre vie. Lorsque tu as une famille, des enfants, tu commences à penser à l’avenir et tu réalises que les décisions qui sont prises aujourd’hui vont influencer les générations à venir. Garden Ruins est un album qui, à l’époque, avait été très fortement influencé par le contexte de son enregistrement. Bush avait commencé la guerre en Irak et je ne comprenais pas qu’il puisse avoir remporté les élections alors qu’il était au coude à coude avec Al Gore. Lorsque Barack Obama a été élu, les choses ont directement commencé à aller mieux car cette nation, qui semblait pourtant tellement divisée, a commencé à se rapprocher. Le simple fait qu’il était afro-américain et qu’il soit devenu Président a ouvert des milliers de portes. Il était extrêmement intelligent et de nombreuses personnes semblent avoir oublié cela.

John: Durant les années Obama, les choses se sont améliorées. Les droits des gays, des femmes, des Amérindiens… C’est une période durant laquelle je me disais qu’il y avait de l’espoir. Aujourd’hui, on peut parler de coup d’arrêt. Et on peut même dire que l’on a fait un pas en arrière.

GUIDO: Quelle a été votre première réaction après la victoire de Donald Trump?

Joey: Je me souviens d’une conversation téléphonique que John et moi avons eue après l’élection de Trump. On s’est dit que la meilleure chose à faire était de nous remettre au travail. Et je pense que l’on peut entendre cette urgence sur ce nouvel album.

John: Il faut contrebalancer cette angoisse, et nous focaliser sur les choses les plus importantes, sur la famille, les amis. Et il est également important de faire entendre sa voix et son opposition à la politique actuelle, entre autres en ce qui concerne l’environnement.

GUIDO: Une grande partie de cet album a été enregistrée en Californie.

Joey: En allant enregistrer cet album en Californie, je suis revenu sur les lieux où j’ai grandi, et je me suis demandé comment les teenagers vivent aujourd’hui. Inutile d’ajouter que le contexte est complètement différent. L’album a été en majeure partie enregistré au Nord de la côte, dans un home studio construit à partir de bois récupéré sur un chantier naval. On l’a surnommé The Phantom Ship car il ressemble à un vieux rafiot et une ambiance très particulière s’en dégage.

GUIDO: Vous êtes les fondateurs de Calexico et les deux seuls à rencontrer la presse à la sortie de chaque nouvel album.

Joey: Nous sommes le noyau dur du groupe, les fondateurs. Mais Calexico, ce n’est pas uniquement John et Joey. Jacob (Valenzuela), Martin (Wenk), Sergio (Mendoza) ou Jairo (Zavala) ont participé à l’écriture de plusieurs titres. Flores Y Tamales a par exemple été coécrit par Jairo. Ils sont tous actifs également dans d’autres projets musicaux, et je pense que c’est un enrichissement pour Calexico.

«Avec Internet, tout le monde a la possibilité d’exporter sa musique, les frontières physiques n’ont plus d’importance»

GUIDO: Calexico est très populaire en Belgique et quelques autres pays européens. Qu’en est-il aux USA?

John: Nous avons beaucoup tourné en Europe et avons tissé pas mal de liens. Depuis nos débuts, et sans raison particulière, Calexico est plus populaire ici qu’aux États-Unis. Avec Internet, tout le monde a la possibilité d’exporter sa musique et les frontières physiques n’ont donc plus vraiment d’importance.

GUIDO: Vous tournez encore énormément. Comment parvenez-vous à combiner votre vie de famille avec le métier d’artiste?

John: Pas évident, en effet. J’ai une fille qui a la vingtaine et un fils de douze ans. Une femme, des enfants, un chien et une maison. Bref, le désastre complet. (rires)

Joey: C’est très difficile de combiner cette vie avec la vie de famille. Il est important de prendre des moments de break de temps en temps. Lorsque je suis devenu papa de jumelles, j’ai ainsi voulu faire une pause de trois mois, et cela a finalement pris un peu plus de temps. En tournée, il n’est souvent pas possible de parler à notre famille car nous sommes sans cesse occupés. Pas facile avec le décalage horaire non plus. Lorsqu’il est deux heures du matin et que je devrais vraiment dormir, c’est l’heure à laquelle les enfants rentrent de l’école. Alors oui, je suis fatigué et il y a le jetlag, mais j’adore cette vie. Les rencontres durant cette tournée promo ont été passionnantes, en particulier ici à Bruxelles.

John: Nous ferons une tournée assez importante pour ce nouvel album. Pour tenir le coup, il est important d’avoir une bonne hygiène de vie. Avant, je buvais pas mal d’alcool en tournée mais c’est de l’histoire ancienne. Et Joey fait régulièrement du jogging.

Joey: Nous tenons aussi à faire des breaks durant les tournées. Nous prenons généralement deux semaines de pause après trois semaines de tournée.

GUIDO: L’avenir est assez sombre pour notre planète. Vous gardez néanmoins un regard optimiste sur l’avenir?

Joey: Nous avons connu quelques chocs majeurs ces dernières années: les attaques terroristes, les élections, le Brexit… Ces moments difficiles me font dire qu’il faut que je sois prêt. Je ne suis pas parano, mais je veux être prêt. Les yeux grands ouverts. Avec l’élection de Trump, il y a quelque chose d’anormal qui s’est passé. Hillary Clinton avait une avance plus que confortable dans les sondages. Tu lis le New York Times qui prédit une victoire facile, et tu penses qu’elle va gagner. Et ensuite, tu vois ce gars dire des choses stupides et tu te dis qu’il n’est pas possible que les gens votent pour lui. Et pourtant, il gagne. C’est absolument insensé. Ces sondages ont probablement eu un impact direct sur les résultats, puisque des milliers de gens ont estimé qu’il ne servait à rien d’aller voter.

John: Aujourd’hui plus que jamais, il faut que l’on soit solidaires les uns des autres. C’est l’un des messages que l’on voulait passer à travers cet album.

Calexico: The Thread That Keeps Us (Konkurrent)

Calexico sera en concert le 24 mars à The Roma (Borgerhout)

et le 1^er juillet à l’Openluchttheater Rivierenhof

Photos: © Chris Hinkle