Au camp scout avec Dr. Jos!

"Pour les épidémiologistes, les camps des mouvements de jeunesse organisés l'été constituent un lieu d'investigation par excellence."


"Houai, ouaih, ouaih… ça va être quelque chose, cette édition estivale du Guido Campus Magazine; aucun doute là-dessus!" D'ailleurs, y a qu'à voir le Dr Jos qui se frotte déjà les mains, rien qu'à y penser. L'été approche, nous nous trouvons en terrasse. La mousse de deux verres de Trappiste posées sur la table reluit au soleil. Ce samedi matin, par cette belle matinée ensoleillée, c'est près de la moitié de la ville qui déambule le long de notre petite table. Puis, il y a également une bande de morveux, tout droit issus d'un mouvement de jeunesse local: on les a chargés de vendre des biscuits faits maison. "Pour pouvoir partir au camp, monsieur."

Pour le docteur, pas question de sortir un franc de son porte-monnaie. "Pour aller au camp avec une chemise brune, gamin?", répond-il en aboyant au visage du petit gars, dont il a saisi la chemise par la manche, entre pouce et index. "C'est quoi déjà ton bataillon de paras à toi, petit gars? Les Scouts? Le Patro? Les jeunesses sociales chrétiennes?" Le Dr Jos se marre plein sa panse et donne une petite tape amicale dans le dos du gosse. "Allez, sale gosse, laisse donc les grands siroter leurs Trappistes en paix!"

GUIDO: Quel tact, docteur; c'est tout vous, ça!
Dr Jos: (hausse les épaules d'un air de dire) Ces parents fagotent leurs mouflets d'une chemise de SS et d'un pantalon par trop court, les confient toutes les semaines à une bande d'ados pubères irresponsables encore incapables de se débrouiller seuls et les obligent à se taper des kilomètres à pied, cookies pourris dans la besace, tout ça pour pouvoir s'offrir un été, dans les Ardennes, dans un de ces camps hyper-dangereux. Et vous avez le culot de venir m'accuser, moi, d'un manque de tact? Vous me faites marrer, vous! (boit une gorgée à son verre de Trappiste)

GUIDO: En somme, vous ne portez pas tellement les mouvements de jeunesse dans votre cœur, docteur?
Dr Jos: Qui donc – dites-le moi – parmi les gens sains d'esprit peuvent bien aimer ça? (dodelinant) Effectivement, les boy-scouts. (soupire) Cela devrait franchement nous inciter à assainir le prototype d'aménagement des loisirs de nos jeunes. Bon, voilà une bonne grosse dizaine d'année, le service militaire a été supprimé. Je n'attendais que ça, bien sûr, mais j'espérais également que ce fût le tour des mouvements de jeunesse. Eh bien, non, toujours rien de tout cela: nous sommes en 2003 et ces mioches en chemises brunes n'ont toujours pas cessé de nous casser les pieds.

GUIDO: J'ai pourtant, en ce qui me concerne, d'excellents souvenirs de mes camps de vacance au Patro!
Dr Jos: Ah oui? Faut croire, alors, que vous faites parties des lucky few qui sont sortis indemnes de cette aventure. Toujours est-il que beaucoup de médecins aiment énormément les camps de vacances. Et les épidémiologiste à plus forte raison. Ces spécialistes traquent les foyers de toutes sortes de bactéries et de virus. Que pourraient-ils rêver de mieux qu'un camp scout pour effectuer des recherches? Un panel de sujets isolés, dans une même tranche d'âge, qui ingurgitent tous la même nourriture, boivent la même eau, utilisent les mêmes chiottes – lorsqu'il y en a… Du concentré de microbes pour l'épidémiologiste, tout ça! Épidémies de salmonelloses, d'escherichia coli, maladie de Lyme, infections des voies respiratoires: au camp, c'est pareil tous les ans.

GUIDO: Vous mettriez pas un peu tout dans le même sac, là, docteur?
Dr Jos: C'est ça, vous voulez que je vous montre les chiffres, peut-être? (brandit un paquet de feuilles) Eh bien, je les ai, les chiffres! Les moyennes annuelles nous enseignent que le nombre de visites d'infirmières dépasse le nombre d'enfants inscrits au camp. Pour 80 gosses, l'infirmier de service reçoit 100 visites. Ce qui équivaut à plus d'un seul problème médical par mouflet et par camp. Puis, vous voulez savoir qui s'occupe de l'infirmerie au camp? N'allez pas vous imaginer que ce sont des têtes… Le premier imbécile, mofflé en première candidature en médecine, maîtrisant à peine 30 pages de sciences naturelles, sera promu expert médical du camp en grande pompe. Totalement insensé.

GUIDO: Mouaih… Au fait, quels sont les problèmes les plus fréquents?
Dr Jos: Dans 50% des cas, il s'agit de blessures: fractures, écorchures, commotions cérébrales, brûlures, insolations et coups de soleil, entorses… 20% des cas ont trait à des maladies infectieuses, parmi lesquels, une moitié de diarrhées et une moitié de problèmes de voies respiratoires. Puis, pour le reste, 10% d'allergies de toutes sortes; 10% de piqûres d'insectes et de réactions cutanées dues à des contacts avec des plantes. L'un, c'est une piqûre de guêpe, l'autre s'est viandé dans les orties. Puis, quand ça n'est pas ça, c'est encore autre chose; de fait, les 10% restants sont des crises d'asthme et des cas plus sérieux. Et c'est toujours là que ça se gâte: lorsqu'il se produit un truc plus grave, la question est toujours de savoir si une ambulance arrivera suffisamment rapidement sur les lieux de l'accident. Et vous en connaissez, vous, des ambulances qui peuvent accéder rapidement à ces coins les plus reclus du fin fond des Ardennes?

GUIDO: Sans doute une excellente opportunité d'améliorer son wallon (Dr Jos est flamand, ndlr)!
Dr Jos: Effectivement, mais en espérant également que le responsable du camp soit en mesure d'expliquer le problème dans la langue des ambulanciers du coin ! Enfin, quoiqu'il en soit, nous avons évoqué les tas de problèmes physiques liés à ce genre d'activités, mais ce n'est pas tout. En effet, le camp est une expérience franchement traumatisante pour un gosse. Car, outre ces uniformes parfaitement hideux, déjà évoqués, il y a pire. Vous trouvez ça bien, vous, pour un gosse, que ses camarades se foutent de sa balle parce que son lit est plein de pisse le matin au réveil? Ou qu'il soit puni par un ado boutonneux frustré parce qu'il ou elle n'a pas bien mangé ses patates? Sans oublier le supplice – déjà que l'enfant est loin de chez lui – d'aller le loger dans une tente deux semaines durant? Avez-vous déjà pensé aux traumatismes provoqués par les histoires d'horreurs qui leur donnent des sueurs froides des nuits entières durant? Imaginez-vous ce que ces enfants vivent aux côtés de ces chefs et cheftaines qui ne pensent qu'à cougner du matin au soir et se trifouiller dans le pantalon au lieu de s'occuper des gosses? (en levant son index) Tant que j'y pense: des filles auront, certainement, également leurs premières menstruations au camp. Si, ça, c'est pas du plus traumatisant?! Car, tout ça, sans accompagnement médical, sans soutien psychologique. Franchement, dites-moi un peu: mais, pour qui donc, tous ces parents qui envoient leurs enfants au camp se prennent-ils? Pourquoi donc faire endurer pareil supplice à des gosses? (en secouant la tête) Comprends pas, moi.

GUIDO: Peut-être pourriez-vous les interroger vous-mêmes, docteur. Ben, tiens, en voilà justement un, avec son panier de cookies!
Dr Jos: (arrache carrément le panier plein de biscuits des mains du boy-scout, lui fourre un petit billet de 100 euros dans la poche de sa chemise) Tiens brave gamin, et avec toute la compassion qu'un médecin peut éprouver pour toi. Puis, maintenant, rentre chez toi, ta mère a fait des gaufres! (porte son verre de Trappiste aux lèvres du gosse) Ou plutôt, non, bois d'abord un coup de Trappiste, gamin! (après avoir bu sa gorgée, fier comme un pan, moustache de mousse sur le haut de la lèvre, le gosse détale en courant tout droit dans la direction du McDonalds avec une main fermement appuyée sur la poche de sa chemise)

GUIDO: je crains, docteur, que vos 100 euros ne soient sur le point d'être dépensés à mauvais escient.
Dr Jos: (sourit) "Scout toujours prêt!" Un petit biscuit pour accompagner la Trappiste suivante, Van Caes'? (afonne en trois coups et fronce les sourcils)

René Van Caesbroeck