The Colorist Orchestra & Emiliana Torrini: «Ce projet, c’est une merveilleuse folie»
Il y a des rencontres qui sont magiques, des collaborations quasi miraculeuses, des destins étonnants... Qui aurait pu imaginer que le groupe de multi-instrumentistes flamand The Colorist Orchestra mené par Aarich Jespers et Kobe Proesmans deviendrait comme cul et chemise avec la chanteuse islando-italienne Emiliana Torrini? Inséparables, on vous dit!
Aarich: Le projet The Colorist a été construit autour de l’envie de collaborer avec des artistes et de réenregistrer certains de leurs titres en leur donnant une nouvelle couleur. Kobe et moi, nous nous connaissons depuis assez longtemps. Nous nous sommes rencontrés lorsque j’étais membre de Zita Swoon et que Kobe travaillait avec Gabriel Rios. Dans le cadre de créations, nous avons voulu jouer ensemble sur des instruments non traditionnels. Des objets, en fait… C’est ainsi qu’est né ce projet un peu fou.
Kobe: Nous aimons utiliser les instruments de musique de manière non conventionnelle, ou utiliser des objets d’usage quotidien comme instruments. De cette manière, nous parvenons à créer des sons complètement inattendus, mystérieux.
GUIDO: Cette collaboration avec Emiliana est probablement la plus emblématique depuis que vous avez fondé The Colorist Orchestra…
Aarich: Il y a quelque chose de magique entre nous. Une alchimie très particulière. Nous avons collaboré avec d’autres artistes de renom – Howe Gelb, Lisa Hannigan ou encore Gabriel Rios – mais il faut bien reconnaître que la relation que l’on a avec Emiliana est unique…
GUIDO: Rien n’aurait pourtant pu présager d’une telle symbiose!
Kobe: Lorsque nous avons contacté Emiliana il y a sept ans, il était juste question de faire cinq dates de concert avec elle. À part le titre Jungle Drum, je ne connaissais aucun morceau d’Emiliana. C’est Kurt Overberghs (de l’Ancienne Belgique) qui nous avait suggéré de contacter Emiliana. Il était convaincu que cela collerait très bien musicalement entre nous.
Emiliana: Ce n’est pas que musicalement que nous nous sommes bien entendus. Après ces cinq dates, j’étais effondrée. Je sortais d’une période assez difficile, et ce projet m’a redonné le goût de la musique. Je n’avais aucune envie de les quitter. Kobe, Aarich et les six autres musiciens avaient travaillé comme des fous, et cela n’avait pas de sens que tout s’arrête si vite. Nous avons alors eu l’idée d’enregistrer un album live et de repartir en tournée pour quelques dates supplémentaires à travers l’Europe. Et ensuite de coécrire et d’enregistrer un véritable album.
GUIDO: Sept longues années auront cependant été nécessaires pour accoucher d’un album écrit à six mains (voire plus). C’est long, non?Emiliana: Nous n’avons jamais voulu nous mettre de deadline pour la sortie de ce disque. Les distances entre la Belgique et l’Islande - et le Covid - ont très fortement compliqué les choses. Et puis, nous avons tous également travaillé sur d’autres projets entretemps. J’ai enregistré un album avec Kid Koala par exemple (Music To Draw To: Satellite) ou collaboré avec le chanteur islandais Helgi Jonsson.
Aarich: Après avoir collaboré avec Emiliana, nous avons également eu la chance de travailler avec Gabriel Rios ou Howe Gelb. Nous ne sommes jamais restés inactifs.
GUIDO: Comment s’est passée l’écriture des morceaux de l’album?
Aarich: Nous vivons à Anvers, Emiliana à Reykavik. Nos rythmes de vie et agendas sont fort différents . Écrire ensemble a été un véritable défi. L’idée, c’était que Kobe et moi lui proposions des plages instrumentales sur lesquelles Emiliana pourrait poser se voix. Mais ce n’était pas aussi facile que lorsqu’on est dans la même pièce pour travailler. Les premières pistes que nous avons envoyées à Emiliana étaient beaucoup trop symphoniques, trop chargées…
Emiliana: Lorsque j’écoutais les démos, j’étais vraiment estomaquée. C’était magnifique mais ils n’avaient pas pensé à laisser de la place pour ma voix. Nous avions déjà coécrit un titre ensemble sur l’album live (When We Dance), mais c’était plus facile car nous étions dans la même pièce pour travailler. C’est tellement plus facile lorsque tu peux discuter, rire, manger ensemble… Kobe et Aarich se sont rendus plusieurs fois en Islande pour des sessions de travail, mais le Covid a un peu compliqué la donne.
Aarich: Chaque difficulté que nous avons rencontrée a renforcé notre volonté de mener ce projet à bout. Les difficultés liées aux obstacles géographiques et cette satanée pandémie ont été une sorte de fil rouge pour cet album.
GUIDO: À l’heure où TikTok et Spotify dictent les règles de l’industrie musicale, comment parvenez-vous à surnager financièrement?
Kobe: Ce projet est clairement miraculeux, et nous nous en rendons compte chaque jour. Chaque personne impliquée dans The Colorist – chaque musicien, mais également toutes les autres personnes qui gravitent autour du projet – se rend compte que nous vivons une expérience unique. L’enregistrement de l’album comme la tournée actuelle sont des moments spéciaux. Tout a été réalisé avec des moyens extrêmement réduits. À chaque étape, nous avons compensé le manque de moyens par de la créativité.
Aarich: Financièrement, ce projet n’est clairement pas viable… Lorsque Kobe et moi avons décidé de monter The Colorist Orchestra, nous avons pris la décision de ne pas tenir compte de ce facteur. Pour mettre les instruments en place, nous avons besoin de plusieurs heures, et les salles de concerts qui peuvent nous accueillir sont également limitées à cause de la largeur de la scène et du nombre d’instruments. Nous sommes obligés de refuser certaines demandes, malheureusement. Sans parler du transport des instruments. Ce projet, c’est une folie, une merveilleuse folie.
GUIDO: Vous avez prévu de retravailler ensemble?
Emiliana: La question ne se pose pas. Il est hors de question que l’on en reste là. Je termine actuellement l’écriture d’un nouvel album solo. Un album quasi conceptuel qui ne ressemblera en rien à mes albums précédents. J’ai horreur de planifier ma vie plusieurs années à l’avance. Mais il est clair que nos chemins se recroiseront encore.
Photo: © Athos Burrez