BOULET: "Je suis un peu le cul entre deux chaises"

Véritable star des blogs dessinés avec ses 20.000 visites quotidiennes (www.bouletcorp.com), Boulet vient de reprendre le dessin de la série Donjon Zénith de Joann Sfar et Lewis Trondheim.

Déjà à l'œuvre dans Tchô!, Le Miya ou Ragnarok, cet auteur à l'humour décalé est à suivre pour ces prochaines années. Compte-rendu d'un rencontre très sympathique.

GUIDO: Quelle a été ta formation?
Boulet : Un peu comme tout le monde, j'ai fait les arts plastiques au lycée, puis les Beaux-Arts à Dijon pendant 4 ans. C'était une formation d'art contemporain, qui ne me convenait pas, mais j'y ai appris à dessiner. Ensuite, j'ai fait les arts décoratifs pendant 3 ans, à Strasbourg, une excellente école d'illustration et de bande dessinée.

GUIDO: Comment en es-tu venu à travailler sur Donjon?
Boulet : Il y a un peu moins de deux ans, à Solliès , j'ai rencontré Lewis Trondheim. Depuis des années, j'achetais ses albums, de La Mouche sorti en 1995 à ses derniers. Je suis passé le voir et me présenter, certain qu'il ne me reconnaîtrait pas. Erreur, il connaissait mes albums, trouvait qu'il y avait une bonne construction de l'espace et compagnie. Je lui ai alors laissé l'adresse de mon blog et c'est en voyant tout ce dont j'étais capable qu'il m'a demandé si je voulais reprendre Donjon Zénith.

GUIDO: Comment s'est déroulée votre collaboration?
Boulet : Lewis et Joann (Sfar) ont fait le scénario, comme ils le font à chaque fois. Lewis m'a demandé si je préférais un scénario écrit ou un découpage avec des bonhommes patates, ce pour quoi j'ai opté - ça me change de ma façon habituelle de travailler. Ne voulant pas trahir l'esprit de la série et être certain que ça leur plaise bien, j'ai envoyé mes pages au fur et à mesure. De son côté, Lewis me donnait son avis s'il y avait des planches qu'il jugeait inégales ou autres. Je n'ai pas touché au scénario, mais pour le découpage, comme j'y étais autorisé, je l'ai parfois retravaillé à ma sauce.

GUIDO: Pourquoi cette différence de style entre ton blog et tes albums?

Boulet : Tout d'abord, le blog est plus récent. C'est aussi du dessin de carnets de croquis, il y a l'aspect aquarelle tape-à-l'œil qui est peut-être plus séduisant pour les amateurs de bédés, mais beaucoup moins lisible sur la longueur. Le dessin "album" est plus fermé, plus définitif et plus propre. Les amateurs de dessin trouvent peut-être qu'on perd dans la vigueur, mais c'est pourtant le même dessin, simplement l'un au brouillon, l'autre pas. Sur le blog , je peux me permettre toutes sortes d'expériences graphiques qu'on ne peut pas faire dans un album.

GUIDO: D'ailleurs, à quand une publication du blog ?
Boulet : Beaucoup d'éditeurs l'ont déjà demandé mais pour l'instant, c'est non. Il faudrait adapter la mise en page, faire la sélection, vérifier que tous les scans soient de qualité suffisante pour la publication. Et je n'ai ni le temps ni le courage pour ça actuellement.

GUIDO: Quelle est la reconnaissance que l'on peut espérer avec un blog dessiné?
Boulet : J'ai beaucoup de lecteurs qui lisent de la bédé, et s'intéressent à ce que je fais sur le blog . Le manque de reconnaissance, n'est pas tant au niveau public que professionnel. Le mot blog suscite encore pas mal de mépris, chez les auteurs, les éditeurs, alors qu'il y a plein plein de belles choses qui s'y font. Le nombre de visites d'un blog n'est pas garante de qualité, sinon TF1 serait la meilleure chaîne du monde. J'ai 20.000 visiteurs uniques par jour. Mais blog , c'est devenu un peu synonyme de fanzine: on lui reconnaît des qualités, mais on s'en moque gentiment car c'est pas des pros qui le font alors qu'il y a des gens largement plus professionnels que des gens édités qu'on trouve sur les blogs .

GUIDO: Alors que le monde de la bande dessinée se scinde tout doucement en deux pôles, l'un représenté surtout par la "nouvelle bande dessinée" et des éditeurs comme l'Association, l'autre par le "cinéma de papier" et des éditeurs comme Soleil , où te situes-tu dans ce débat?
Boulet : Moi je suis un peu le cul entre deux chaises, puisque finalement, une bonne partie de mon boulot relève de l' underground , vu qu'il est complètement indépendant, à tel point qu'il n'est pas édité, et une autre partie qui est plus commerciale, vu que c'est chez Tchô ! . Je pense qu'on peut faire de très bonnes grosses productions et de très bons films d'auteurs, comme on peut faire des films d'auteurs extrêmement chiants, et faire des grosses productions très chiantes. On peut raconter n'importe quoi. A partir du moment où on a un bon conteur, ça passe. Je suis sûr qu'il y en a de très bons chez Soleil et à l' Association , tout comme de très mauvais des deux côtés aussi.

(SM)