ABD AL MALIK: Le rappeur fréquentable

Né de la fusion de trois genres musicaux, Gibraltar, le second album d'Abd Al Malik , truste les succès commerciaux comme les récompenses officielles. Quelle est donc cette bête curieuse qui se réclame du rap, qui collabore avec le pianiste de Jacques Brel et invite sur quelques chansons Marcel Azzola et son accordéon?

GUIDO : A 30 ans, tu as déjà pas mal voyagé, pas mal galéré aussi…
Abd Al Malik : Je suis né à Paris et tout petit, nous sommes parti à Brazzaville. Ensuite, la famille est revenue en France, mais à Strasbourg cette fois. Après le divorce de mes parents, c'est ma mère qui nous a élevés, moi et mes cinq frères et sœurs dans une cité que les politiciens appellent sensible.

GUIDO: Il y avait là tous les ingrédients pour tomber dans la délinquance?
Abd Al Malik : J'ai pris comme on dit les mauvais chemins. J'ai dealé et volé des sacs à main. Mes héros, mes modèles, c'était les caïds de la cité.

GUIDO: Tu t'en es bien sorti!
Abd Al Malik : C'est vrai . Je m'en suis sorti car j'étais passionné de lecture et de savoir. Bon élève le jour, j'étais délinquant le soir… C'est à cette époque que nous avons créé NAP, mon groupe de rap.

GUIDO: Est-ce grâce à ce groupe que tu as eu l'occasion de te refaire une identité morale?
Abd Al Malik : Oui, en partie. Mais surtout le soufisme et l'Islam. J'avais alors 16/17 ans et les drogues dures faisaient des ravages dans mon entourage. J'avais un grand questionnement par rapport à la mort et j'ai le sentiment que l'Islam m'a apporté une réponse. J'aurais pu tout aussi bien sombrer dans l'extrémisme à ce moment. Mais je suis tombé du bon côté, celui du cœur de l'Islam, celui qui prône la bonté, la tolérance.

GUIDO: Au point de t'investir dans le social?
Abd Al Malik : Si tu veux me parler des tables d'écriture dans les prisons, c'est une bien petite contribution. Ces jeunes ont besoin de communiquer, c'est primordial. En plus, il est important d'emmener ces gamins vers les textes. Lire pour découvrir un autre sens à la vie et communiquer pour évacuer le mal-être.

GUIDO: Ton rap est sage, tu n'es pas un agressif?
Abd Al Malik : Il y autant de rap que d'individus. Je crois que notre diversité est un cadeau.        

GUIDO: Comment définis-tu la musique de Gibraltar?
Abd Al Malik : L'idée de faire ce disque est née à Bruxelles, ici au Botanique. Je voulais réunir dans un même album les styles et les artistes qui m'ont influencé. D'abord le rap, parce que je suis un rappeur avant tout, ensuite la chanson française, et plus précisément Jacques Brel, et enfin le jazz de Miles Davis. J'ai pris aussi toute l'énergie du Slam, né à Chicago dans les années 20.

GUIDO: Et bingo! Tu vends et tu gagnes des prix…
Abd Al Malik : C'est vrai que l'album est Disque d'Or et qu'il a gagné le Prix Constantin et le prix de l'Académie Charles Cros. Mais tout cela, c'est du bonus. L'important pour moi était de réaliser ce disque, qu'il plaise est un grand bonheur et de voir le public qui kiffe les concerts est génial. Mais on ne fait pas un disque en se disant qu'on va en vendre des camions.

GUIDO: N'as-tu pas l'impression d'être devenu le "rappeur fréquentable", d'avoir été récupéré?
Abd Al Malik : Ce que je sais, c'est que j'ai la conscience tranquille. J'ai fait l'album que je voulais faire. Honnêtement. Je ne joue pas de rôle, je n'ai pas deux discours. Mais je ne peux pas empêcher les gens de penser et d'avoir une opinion.

(JM)