Dr Jos: «La bactériothérapie est le traitement du futur contre l'obésité»
«Le mieux avec les enfants, c'est qu'ils peuvent rigoler cinq-cents fois de la même blague», nous explique Dr Jos en riant. Il presse pour la énième fois sur une crotte en plastique qui fait un bruit de canard en plastique. Son fils Jean-Marie éclate de rire et crie: «Encore, encore!».
C'est un beau jour de fin d'été et nous nous trouvons sur la terrasse ombragée du docteur. Le petit Jean-Marie emmène la crotte sonore avec lui dans sa piscine gonflable tandis que madame Dr Jos prend un bain de soleil dans un bikini blanc éclatant. Le docteur nous sert deux trappistes moussantes et les pose sur la table de jardin en teck. En bref, nous sommes prêts à entamer notre conversation sur les grouillantes bactéries intestinales.
Dr Jos: Van Caesbroeck! Bois ta Trappiste et raconte-moi un peu quelles sortes de cellules contient le corps humain.
GUIDO: (enlève la mousse de sa lèvre supérieure) Euh... les cellules cérébrales, les cellules du foie, les cellules musculaires, les cellules sanguines…
Dr Jos: (hoche la tête) Juste, juste, juste. Mais, tu n'as pas encore nommé la principale. Allez, pense un peu.
GUIDO: (hésite) Les cellules du tissu conjonctif?
Dr Jos: Faux!
GUIDO: Les cellules épithéliales?
Dr Jos: Faux, faux, faux! Bon, je vais devoir te le dire puisque tu ne le devineras jamais. Les cellules présentes en plus grand nombre dans le corps humain sont les bactéries. Il y a plus de micro-organismes dans un homme qu'on pourrait le penser. Pour chaque cellule humaine, tu trouves dans le corps au minimum dix bactéries. Et celles-ci jouent un rôle très important dans le métabolisme.
GUIDO: Ah, la célèbre flore intestinale.
Dr Jos: (fait un visage noir) Je n'aime pas le terme 'flore intestinale'. Ce n'est pas correct. Des plantes poussent dans ton cul peut-être? Non, l'appellation correcte, c'est microbiote. Le microbiote humain. Qui a été longtemps délaissé par les sujets de recherches. A tort, car les microbiotes sont essentiels, tellement essentiels qu'ils ont été considérés comme un organe à part entière par la science médicale au cours des dernières années. Un organe qu'il faut préserver car on ne peut pas se débarrasser en laboratoire de 70% des microbiotes.
GUIDO: Et la majorité de ces bactéries se retrouvent dans l'intestin?
Dr Jos: Dans le tube digestif en effet. Les microbiotes humains favorisent la digestion, mais ils ne font pas que cela. Leur influence sur la santé ne doit pas être sous-estimée. Par exemple, il est fréquent de lire au cours de chaque été des messages d'alarme sur la viande brûlée des barbecues qui serait cancérigène, étant donné que des amines hétérocycliques s'y forment. Eh bien, ce degré de cancérogénicité est inversement proportionnel à la diversité des bactéries dans ton intestin. Car chez un être humain en bonne santé, c'est là que vivent les microbiotes qui démolissent les amines hétérocycliques et en neutralisent les effets néfastes. Et il existe encore d'autres effets positifs. Les microbiotes font également en sorte que les risques de maladies cardiovasculaires diminuent.
GUIDO: Comment avoir une flore intestinale en bonne santé? En mangeant des yoghourts avec des probiotiques? Du bifidus? Des lactobacilles?
Dr Jos: (secoue énergiquement la tête) Ne m'en parle pas. Ces yoghourts n'apportent pas grand-chose en soi, mais les probiotiques peuvent être dangereux. Car qu'est-ce que tu fais alors? Tu vas bombarder cet écosystème bactérien complexe de l'intestin avec une seule sorte de bactérie. Transformer la diversité des milliers de sortes présentes en une seule et même sorte. Ça a déjà joué un tour à plus de personnes que tu ne le crois! Des enfants qui sont décédés après avoir ingéré une dose concentrée de Saccharomyces cerevisiae. C'est de la levure de bière, inoffensive dans notre trappiste, mais inopportune en tant que probiotique concentré. Et je ne parle même pas de cette expérience catastrophique menée en Hollande au début de cette année au cours de laquelle des patients atteints de pancréatite ont été soignés avec des probiotiques. Plusieurs en sont morts.
GUIDO: Ouille!
Dr Jos: Oui, c'est bien le mot. Mais, sais-tu la plus grande menace pour les microbiotes dans notre corps? Pas les probiotiques, mais les antibiotiques. Après un traitement aux antibiotiques, il faut attendre deux ans avant que les microbiotes reviennent à leur niveau initial. Le plus grave est que beaucoup de stimulateurs de croissance en élevage contiennent des antibiotiques. Vous savez que je suis un fervent défenseur de la viande, mais à condition qu'elle ne contienne aucun antibiotique, car c'est très mauvais pour la santé. Savais-tu par exemple que l'épidémie actuelle d'obésité à l'Ouest est probablement une conséquence directe de cette éradication systématique des bactéries intestinales par les antibiotiques?
GUIDO: Les problèmes de surpoids?
Dr Jos: (hoche la tête) En effet. C'est une découverte assez récente. Pourquoi, surtout aux Etats-Unis, y a-t-il eu tellement de gros qui sont apparus au cours des dix, vingt dernières années? OK, les Américains sont mous et ils mangent trop de hamburgers avec des frites et de grands verres de cola, mais ils le faisaient déjà il y a 20 ou 30 ans. Cela ne suffit pas comme explication de l'épidémie d'obésité. En fait, une expérience a été menée sur des souris. On a transplanté les microbiotes des grosses souris sur les plus maigres qui sont à leur tour devenues grosses alors qu'elles continuaient à manger la même nourriture.
GUIDO: Mais c'est révolutionnaire! Et cela fonctionne également dans l'autre sens?
Dr Jos: Plus que probablement. La bactériothérapie est le traitement du futur contre l'obésité. Si tu lis quelque chose dans le genre dans le journal d'ici cinq à dix ans, pense à moi car j'aurai alors été le premier à avancer une telle théorie!
GUIDO: Comment se déroule concrètement une bactériothérapie?
Dr Jos: Au point le plus strict, cela peut être comparé à une transplantation de cague. (rires) On recherche en premier lieu un donneur approprié, souvent un membre de la famille avec un bon transit et un poids normal. La crotte est ensuite délayée, rendue liquide dans une solution saline, mélangée, réparée et… transplantée. Le mélange est ensuite appliqué soit avec une énéma, une sorte de seringue rectale ou oralement avec une sonde stomacale. C'est suffisant! Au jour d'aujourd'hui, la bactériothérapie n'est pas encore utilisée pour combattre l'obésité, mais la technique est appliqué régulièrement en cas de diarrhée Clostridium difficile, une diarrhée très sérieuse qui apparaît souvent dans les hôpitaux, également en conséquence d'utilisation d'antibiotiques. Voici donc la leçon à retenir aujourd'hui: attention aux antibiotiques, car ils te feront grossir plus que de raison.
GUIDO: Pas de problème, je les évite déjà car il est indiqué dans la notice qu'il est interdit de boire de l'alcool pendant un traitement aux antibiotiques.
Dr Jos: (lève son verre) Une autre bonne raison, évidemment.
(RVC)
Dr Jos recommande les lectures suivantes:
Guarner e.a., Gut flora in health and disease, Lancet, feb. 2003
Ley e.a., Microbial ecology: human gut microbes associated with obesity, Nature, dec. 2006
Raoult, Obesity pandemics and the modification of digestive bacterial flora, Eur-J-Clin- Microbiol-Infect-Dis., mrt. 2008
DiBaise e.a., Gut microbiota and its possible relationship with obesity, Mayo-Clin-Proc., apr. 2008
Scarpellini e.a., Probiotics: which and when?, Dig-Dis., apr. 2008
Soeters , Probiotics: did we go wrong, and if so, where?, Clin- Nutr., apr. 2008
Pham e.a., Probiotics: sorting the evidence from the myths, Med-J- Aust., mrt. 2008
Blaut e.a., Metabolic diversity of the intestinal microbiota: implications for health and disease, J- Nutr., mrt. 2007
Macfarlane, Existing knowledge of the human gut microbiota, J- Pediatr- Gastroenterol- Nutr., apr. 2008
De La Cochetière e.a., Effect of antibiotic therapy on human fecal microbiota and the relation to the development of Clostridium difficile, Microb- Ecol., jan. 2008
Jernberg e.a., Long- term ecological impacts of antibiotic administration on the human intestinal microbiota, ISME-J., mei 2007
Borody e.a., Bacteriotherapy using fecal flora: toying with human motions, J-Clin- Gastroenterol., jul. 2004
You e.a., Successful treatment of fulminant Clostridium difficile infection with fecal bacteriotherapy, Ann- Intern-Med., apr. 2008