Dr Jos: "C'en est fini du bouche-à-bouche!"
«Regardez, docteur! Que se passe-t-il là-bas?» Alors que je discute avec le Dr Jos sur une terrasse pendant une accalmie automnale, un joggeur d'un certain âge se casse la figure de l'autre côté de la rue. Le docteur hausse les épaules et continue à déguster tranquillement sa trappiste. Des passants commencent à se regrouper autour de la victime alors que le Dr Jos reste imperturbable. J'hésite également à intervenir - j'ai suivi un cours de premier secours il y a quelques années - mais c'est juste à ce moment que le joggeur se relève, soutenu par deux hommes costauds. Quelques écorchures aux genoux mises à part, tout semble rentrer dans l'ordre pour le vieil homme.
«Cet imbécile s'est emmêlé les jambes,» explique le Dr Jos. «Et je devrais avoir de la compassion pour lui?» Imperturbable, il continue à jouer avec un carton de bière. «La société nous dicte de ne pas avoir de pitié pour les fumeurs, les gros, etc, car ceux-ci ont cherché leurs problèmes de santé. Eh bien, selon moi, cela vaut également pour les joggeurs.»
GUIDO: OK, docteur, mais auriez-vous fait de même si ce pauvre mec avait eu une attaque cardiaque devant vous?
Dr Jos:(sort un impressionnant smartphone de sa poche) J'aurais alors appelé le 100, et en un rien de temps, une équipe de professionnels avec défibrillateurs, injections d'adrénaline et matériel d'intubation serait apparue. Tu penses peut-être que j'emmène avec moi tout ce matériel quand je vais boire une chope?
GUIDO: Oui, mais... En attenant que l'ambulance arrive, la victime doit quand même être réanimée? Bouche-à-bouche, massage cardiaque…
Dr Jos:(sceptique) Je garde quelques doutes sur l'utilité de telles pratiques. Surtout si cela est effectué de manière improvisée et erronée, ce qui est par définition toujours le cas. Ecoute, tu me parles en fait de CPR: cardio-pulmonary resuscitation. Une contradiction dans les termes naturellement, car la CPR n'a jamais sauvé personne. La CPR sert au plus à garder quelqu'un en vie temporairement entre le moment de son attaque cardiaque et l'arrivée des professionnels avec le matériel qui, lui, peut sauver une vie.
GUIDO: Vous nous dites donc que la CPR est inutile?
Dr Jos:Mais non! (fâché) Qu'est-ce que je viens de dire à l'instant? La CPR sert à garder quelqu'un en vie jusqu'à l'arrivée de l'ambulance. C'est pourtant clair? Mais, il ne faut pas en attendre plus, car on ne survit que rarement à une attaque cardiaque. La CPR est une solution provisoire qui sert à faire circuler le peu d'oxygène qui reste dans le sang en attendant un meilleur traitement.
GUIDO: Bon, survolons alors en quoi consiste précisément la CPR.
Dr Jos:Les règles ont longtemps été les suivantes: deux insufflations bouche-à-bouche, quinze compressions sur le sternum, encore deux insufflations bouche-à-bouche, de nouveau quinze compressions, etc.
GUIDO: Oui, j'ai appris cette technique.
Dr Jos:C'est que ton brevet date d'avant 2010, alors, car entre-temps le schéma a évolué. Aujourd'hui, on conseille le suivant: pas d'insufflation au départ, trente compressions sur le rythme de 'Staying Alive' des Bee Gees, et ensuite deux bouche-à-bouche. Pourquoi ce schéma a-t-il été modifié? Parce qu'il n'était pas correct, tiens. Il y a à peu près moins de 30% des passants qui réagissent quand quelqu'un fait une attaque cardiaque sous leurs yeux, surtout parce que le bouche-bouche leur fait peur. La victime est souvent en train de baver ou de vomir, ou ses fausses dents se font la malle… Ce facteur de dégoût ne doit pas être sous-estimé.
GUIDO: Pourquoi ce rythme de 'Staying Alive'?
Dr Jos:Un moyen mnémotechnique efficace, non? Cent beats par minute. Mais, j'aimerais en revenir à mon facteur de dégoût. Jusqu'à récemment, celui-ci a été complètement sous-estimé, à cause de cette idée naïve et romantique du kiss of life. (me regarde) Tu ne me crois pas? Faisons un exercice de simulation. Imagine que la science médicale affirme avec 100% de certitude qu'il est possible de réanimer un homme en lui mettant son index dans le derrière. (rires) Je te pose alors cette question: que ferais-tu? (gesticule et montre le joggeur essoufflé, assis sur un banc) Tu aurais mis ton doigt dans son cul?
GUIDO: Une question hypothétique, docteur…
Dr Jos:The finger of life est plus difficilement vendable que the kiss of life, n'est-ce pas? (rires) C'est en effet hypothétique, mais ça en dit long. C'est pour cela qu'actuellement des voix se lèvent dans le domaine de la médecine d'urgence pour déconseiller la réanimation par le bouche-à-bouche aux profanes en la matière. Car les gens préfèrent ne pas avoir à le faire, et s'ils le font, c'est neuf fois sur dix de la mauvaise manière. Eh bien, je suis partisan du massage cardiaque only. Et on a même imaginé un nom accrocheur pour cette pratique: topless resuscitation.
GUIDO: Sexy! Mais il n'y a alors pas d'oxygène dans le sang pompé?
Dr Jos:C'est également le cas pour le bouche-à-bouche. Ou guère, car tu souffles alors dans le meilleur des cas de l'air riche en CO2 dans les poumons de la victime. Et inévitablement aussi dans son estomac, ce qui augmente la pression abdominale, ce qui rend le massage cardiaque encore plus difficile. Et le massage cardiaque est déjà un dur labeur en soi, donc au plus longtemps tu t'appliques à la réanimation, au plus de CO2 tu auras dans ton souffle. C'est pour cette raison que les partisans de la topless resuscitation disent la chose suivante: arrêtez avec cette arnaque du kiss of life et massez. Staying Alive! Personne ne peut être contre quand même?
GUIDO: Des chiffres confirment vos dires?
Dr Jos:Certainement. Mais ces chiffres sont le plus souvent décevants car ils démontrent qu'une attaque cardiaque est le plus souvent fatale, avec ou sans CPR. Enfin, les pourcentages sont les suivants: sans CPR survivent 5% des patients jusqu'à leur départ de l'hôpital. Grâce à la CPR conventionnelle, on arrive à 8%, et avec le massage cardiaque uniquement, le pourcentage de survie atteint les 13%. (hausse les sourcils et boit sa trappiste, pensif) Eh oui, c'en est assez pour moi. C'en est fini du bouche-à-bouche. Vive la méthode topless: cent massages par minute, avec les bras tendus, en faisant attention de ne pas pousser le thorax de plus de cinq centimètres afin d'éviter des fractures des côtes ou un pneumothorax. Surtout ne pas exagérer, car il ne faut pas sous-estimer la charge physique que cela implique. Cent fois par minute, c'est beaucoup. Et ce n'est pas le but que tu commences toi-même à hyperventiler. Alterne avec une autre personne si tu te sens pris de vertige. Et n'oublie surtout d'appeler le 100.
GUIDO: OK! Merci, cher Dr Jos. Mais, attendez, encore une question: qu'attendriez-vous des passants si vous deviez subir une attaque cardiaque?
Dr Jos:Tant qu'ils ne me mettent pas de doigt dans le cul, je m'en fous totalement, mec. (rire gras)
Dr Jos recommande la lecture des ouvrages suivants:
Van Boxtael e.a., Nieuwe richtlijnen voor cardiopulmonale reanimatie 2010 bij volwassenen, TVG., jul. 2011
Gutwirth e.a., Rescuer fatigue in cardiopulmonary resuscitation: a review of the literature, JEPHC., 2009
Bobrow e.a., Chest compression-only CPR by lay rescuers and survival from out-of-hospital cardiac arrest, JAMA., okt. 2010
Thierbach e.a., Two-rescuer CPR results in hyperventilation in the ventilating rescuer, Resuscitation., mei 2005
Auferheide e.a., Death by hyperventilation: a common and life-threatening problem during cardiopulmonary resuscitation, Crit-Care-Med., sep. 2004
Higdon e.a., Single rescuer cardiopulmonary resuscitation: can anyone perform tot the guidelines 2000 recommendations?, Resuscitation., aug. 2006
Heidenreich e.a., Single-rescuer cardiopulmonary resuscitation: 'two quick breaths' - an oxymoron, Resuscitation., sep. 2004
Heidenreich e.a., Rescuer fatigue: standard versus continuous chest-compression cardiopulmonary resuscitation, Acad-Emerg-Med., okt. 2006
McCormack e.a., Disagreeable physical characteristics affecting bystander CPR, Ann-Emerg-Med., mrt. 1989
Herlitz e.a., Efficacy of bystander CPR: intervention by lay people and by health care professionals, Resuscitation., sep. 2005
Dick e.a., "Topless" cardiopulmonary resuscitation? Should heart-lung resuscitation be performed without artificial resuscitation?, Anaesthesist., mei 1999