Dr Jos: «À en croire certains, nous sommes tous des buveurs excessifs»
Les interviews avec Dr Jos ont de préférence lieu bien au chaud dans un café autour d'une bonne Trappiste bien mousseuse. Jusqu'à présent, rien de bien nouveau. Aujourd'hui, ce lieu est pourtant mieux choisi que jamais, car le docteur a quelques chose à nous dire sur les nouvelles recommandations en matière de consommation d'alcool.
«Pendant des années, les 21 bières par semaine pour les hommes étaient considérées comme la limite d'une consommation d'alcool optimale. Trois verres par jour donc,» déclare Dr Jos après avoir bu une énorme gorgée de sa Trappiste. «Et que s'est-il passé fin novembre? Soudain, ils ont décidé de descendre le nombre de verres de 21 à 10. Oui, santé!»
GUIDO: Cela ne s'est certainement pas fait sans raison?
Dr Jos: (hausse les épaules) Écoute, qui lance de telles affirmations? Une bande de mêle-tout trop subsidiés qui veulent être dans les journaux aussi souvent que possible. Eh bien, ils ont réussi leur coup. Mais pensent-ils vraiment que cette nouvelle régulation diminuera le nombre d'alcooliques? Un alcoolique pathologique boit facilement 21 verres par jour, donc il ne respecte déjà pas la règle des 21 par semaine. Penses-tu vraiment qu'un tel pochtron risque d'écouter leurs conseils? Naturellement, il n'existe aucune limite sans risque à la consommation d'alcool, mais cela vaut pour tout! L'excès nuit en tout. Le binge drinking comporte évidemment un risque, mais des mecs qui courent 15 kilomètres chaque soir et font un marathon le week-end, n'est-ce pas un autre excès? N'est-ce pas du binge running? (rires)
GUIDO: Il y a sûrement une raison scientifique qui les a poussé à passer de 21 à 10 verres d'alcool?
Dr Jos: La cause est la remise en question de la courbe en J. Selon cette courbe, la mortalité augmente chez les gros buveurs. C'est le point le plus haut du J, à droite de la courbe. C'est normal, mais d'un autre côté, la mortalité augmente aussi chez les ascètes, là où le point le plus à gauche tend vers le haut. Les personnes sobres ont une mortalité comparable aux personnes qui boivent 6 pintes par jour. Ensuite, ils ont examiné le point de la courbe démontrant la plus faible mortalité, et c'est le cas pour ceux qui boivent 3 verres d'alcool par jour. Multiplie cela par 7 et tu obtiens 21 bières.
GUIDO: Ça me paraît logique.
Dr Jos: Et ça l'est. Mais on s'est alors posé la question de savoir qui étaient réellement ces personnes qui ne boivent pas d'alcool. On y trouvera certainement quelques extrémistes de la santé, mais la raison pour laquelle ils ne boivent pas, c'est justement parce qu'ils ne sont pas en bonne santé. Des anciens alcooliques, qui ont arrêté. Ou des personnes qui doivent prendre tant de médicaments qu'ils ne peuvent pas boire. (il fait un signe vers le bar) Tu vois cet ivrogne au coin du bar, avec sa Duvel et son petit verre de whisky? Avec sa gueule rouge écarlate prête à éclater? Je parie qu'il doit avoir la cinquantaine bien tassée. C'est clair que l'on a à faire à un grand buveur, mais peut-être devra-t-il bientôt arrêter sur ordre du médecin. Il deviendra alors, techniquement parlant, une personne sobre, mais ce n'est pas pour autant qu'il retrouve une santé parfaite.
GUIDO: Ce raisonnement ne vaut donc rien?
Dr Jos: Eh oui, mais tu peux tout aussi bien l'appliquer à l'autre côté de la courbe. Les grands buveurs sont souvent aussi des fumeurs, et des personnes faibles sur le plan socio-économique. Et s'il y a bien une chose qui a toujours été un indice fiable de mortalité, c'est la situation socio-économique. Qui plus est: nous sommes des scientifiques, nous avons essayé dans de récentes études de corriger ces effets biaisés. Eh bien, la courbe en J se redresse. C'est aussi plausible biologiquement, car boire quelques verres d'alcool dilate les artères et empêche la coagulation des plaquettes, ce qui provoque une diminution des risques d'attaque cardiaque.
GUIDO: En bref, tant que tu n'es pas un buveur à problèmes, l'alcool n'a que des qualités.
Dr Jos: (le docteur porte un toast avec son verre de Trappiste) Un peu d'alcool donne des couleurs à la société, Van Caesbroeck. Si tout le monde devenait tout-à-coup sobre, quelle tristesse ce serait. Mais tu as soulevé une question intéressante: comment définir un 'buveur problématique'? Le docteur américain John Ewing a imaginé à cet effet une liste de questions très simples, le test CAGE. Seulement quatre questions, et si tu réponds à deux ou plus par 'oui', tu es alors un buveur problématique. Tu veux faire le test? Question 1: «Avez-vous déjà ressenti le besoin d’abaisser votre consommation d’alcool?»
GUIDO: Euh oui, quand je me réveille avec une gigantesque gueule de bois.
Dr Jos: Ça te fait déjà 1 sur 1. Question suivante: «Votre entourage vous a-t-il déjà fait des remarques au sujet de votre consommation d’alcool?»
GUIDO: Et comment: à ce moment précis, car je ne me sens plus à l'aise avec ma Trappiste en face de moi.
Dr Jos: (rires) Deux 'oui'. Selon le test, tu as déjà une consommation d'alcool problématique. Bon, on continue quand même. «Vous êtes-vous déjà senti coupable au sujet de votre consommation d’alcool?»
GUIDO: Eh bien… avec ce genre de questions, vous êtes en train de me faire culpabiliser!
Dr Jos: (ricane) Mission accomplie! Et la quatrième et dernière question: «Avez-vous déjà eu besoin d’alcool dès le matin pour vous sentir en forme ou lutter contre une gueule de bois?»
GUIDO: J'ai déjà utilisé un Bongo pour un petit-déjeuner aux bulles.
Dr Jos: Et voilà! Et qu'aurais-tu dû faire? Jeter cette bouteille de champagne, parce qu'il n'est pas encore midi? Quatre sur quatre, Van Caesbroeck. Félicitations, selon le docteur Ewing, tu es un buveur problématique. Tu en aurais dit autant?
GUIDO: Pas du tout, je n'ai pas de problème d'alcool. Je bois simplement un verre de temps à autre, parce que je trouve ça agréable.
Dr Jos: Et comment! Si on devait suivre de telles inepties à la lettre, on aurait tous des problèmes d'alcool. Des conneries. L'alcool stimule la créativité et aide à résoudre les problèmes. Un petit verre rend les idées plus claires. Ce n'est pas moi qui le dis, ça a été prouvé scientifiquement. C'est pour cette raison que de telles quantités de bière sont ingurgitées lors des quiz en tous genres. Enfin, un peu d'alcool te rend plus attirant.
GUIDO: Oui, je connais ça: tu dragues quelqu'un après quelques cocktails, mais le lendemain matin elle n'est pas aussi belle que tu ne le pensais!
Dr Jos: (rires) Le phénomène des beer goggles. Après quelques verres, tu éprouves plus de difficulté à distinguer les symétries, ce qui rend les gens plus attrayants qu'ils ne le sont réellement. Mais le contraire est vrai: si tu as un peu bu, tu as l'air plus relax, avec des jours légèrement rouges. Ce qui te rend plus attirant, même pour un observateur sobre.
GUIDO: Conclusion?
Dr Jos: L'excès nuit, mais une bonne petite bière de temps en temps ne fait pas de mal, que tu en boives 10 ou 21 par semaine. (prend sa Trappiste en main) Santé!
René Van Caesbroeck
Dr Jos recommande la lecture des ouvrages suivants:
Evans-Polce e.a., Alcohol abstention in early adulthood and premature mortality: Do early life
factors, social support, and health explain this association?, Soc Sci Med., aug. 2016
Licaj e.a., Alcohol consumption over time and mortality in the Swedish Women's Lifestyle and
Health cohort, BMJ Open., nov. 2016
Roerecke e.a., Alcohol consumption, drinking patterns, and ischemic heart disease: a narrative
review of meta-analyses and a systematic review and meta-analysis of the impact
of heavy drinking occasions on risk for moderate drinkers, BMC Med., okt. 2014
Jones e.a., Relationship between alcohol-attributable disease and socioeconomic status, and
the role of alcohol consumption in this relationship: a systematic review and
meta-analysis, BMC Public Health., apr. 2015
Fillmore e.a., Moderate alcohol use and reduced mortality risk: systematic error in prospective
studies and new hypotheses, Ann Epidemiol., mei 2007
Laramée e.a., Risk of All-Cause Mortality in Alcohol-Dependent Individuals: A Systematic
Literature Review and Meta-Analysis, EBioMedicine., sep. 2015
Eliasen e.a., Alcohol-attributable and alcohol-preventable mortality in Denmark: an analysis of
which intake levels contribute most to alcohol's harmful and beneficial effects, Eur J Epidemiol., jan. 2014
Jayasekara e.a., Alcohol consumption over time and risk of death: a systematic review and
meta-analysis, Am J Epidemiol., mei 2014
Van Den Abbeele e.a., Increased facial attractiveness following moderate, but not high, alcohol
consumption, Alcohol Alcohol., mei 2015
Halsey e.a., An explanation for enhanced perceptions of attractiveness after alcohol
consumption, Alcohol., jun. 2010
Souto e.a., Alcohol intoxication reduces detection of asymmetry: an explanation for increased
perceptions of facial attractiveness after alcohol consumption?, Perception., 2008
Jarosz e.a., Uncorking the muse: alcohol intoxication facilitates creative problem solving, Conscious Cogn., mrt. 2012
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