MATTHIAS SCHOENAERTS: «Sans 'Tête de bœuf', je n'aurais jamais eu la même carrière, c'est aussi simple que ça»
Quand Matthias Schoenaerts joue le rôle principal dans un film de Michaël R. Roskam, tous nos sens de cinéphile se remettent en éveil. Dans Le fidèle, un drame fort situé dans le milieu du banditisme bruxellois, il joue le rôle de Gigi, un gangster avec un cœur qui tombe amoureux de la jeune pilote de course Bibi (Adèle Exarchopoulos). Ce qui donne lieu à une romance déchirante et envoûtante.
GUIDO: Le fidèle est ton troisième long-métrage en compagnie de Michaël. Vous êtes amis. Collaborer avec un ami est-il différent qu'avec un 'simple' collègue?
Matthias Schoenaerts: Cela dépend de la nature de l'amitié. Avec Michaël, ça fonctionne parfaitement. Nous avons beaucoup de points communs, mais aussi des approches différentes. On se nourrit et on s'inspire l'un l'autre, et nous avons surtout beaucoup de fous rires. Nous sommes tous les deux passionnés par ce que nous faisons, mais on le fait avec plaisir. C'est pour cela que l'on s'amuse autant.
Gangster glamour
GUIDO: Gigi est un gangster élégant, presque glamour.
Matthias Schoenaerts: Je trouvais cela important de jouer pour une fois un bandit qui ne soit pas dur, menaçant. De tels gangsters sont plutôt rares dans les films.
GUIDO: J'ai immédiatement pensé à Patrick Haemers, le célèbre gangster des années quatre-vingts.
Matthias Schoenaerts: Le personnage de Gigi n'en est pas inspiré, mais dans la physionomie, il y a quelque chose, c'est vrai. Comme ces cheveux blonds… Patrick Haemers avait quelque chose de raffiné, de féminin, ce que Gigi a aussi. Attention: féminin, et pas efféminé.
GUIDO: Qu'entends-tu par là?
Matthias Schoenaerts: On parle ici de langage du corps, de posture. Les traits de caractère féminins en toi, quelque chose qui fait peur à beaucoup d'hommes. Parler à voix basse également. (crie) Ne jamais élever la voix, comme maintenant! (prend de nouveau une voix douce) Tu comprends? Haemers n'a pas été formellement une source d'inspiration directe, mais bien une référence. Gigi n'est pas une crapule. Il fait des choses crapuleuses, c'est un bandit, mais on sent bien qu'il n'a pas le mal en lui. C'est un gosse qui est devenu gangster à cause de certaines circonstances. Attaquer des banques est l'un de ses seuls talents.
GUIDO: Le Fidèle parle d'amour inconditionnel. Est-ce quelque chose de tellement rare dans la vraie vie qu'il faut acheter un ticket de cinéma pour le voir de ses propres yeux?
Matthias Schoenaerts: Je ne pense pas que l'amour inconditionnel soit une denrée rare, mais quelque peu plus complexe. Les relations et les formes de fréquentation se complexifient, mais ce n'est pas pour autant que l'amour inconditionnel est impossible. Dans une monde de misère et de peur, c'est justement chouette d'aller voir un film qui te rappelle que l'amour existe encore?
GUIDO: Adèle a quinze ans de moins que toi.
Matthias Schoenaerts: (effrayé) C'est vrai? Merde, oui.
GUIDO: C'est possible de faire croire qu'une étincelle existe pour n'importe quelle actrice de n'importe quel âge?
Matthias Schoenaerts: Cela dépend des individus, mais je pense que oui. Si cette actrice me plaît, pourquoi pas.
GUIDO: C'est nécessaire?
Matthias Schoenaerts: Ce n'est certainement pas une condition sine qua non, mais ça aide. S'il existe une réelle étincelle, ça se ressent. Energy doesn’t lie. Dans ce film, c'est le cas. Entre Gigi et Bibi, c'est enflammé. S'il n'y a pas cette étincelle, ça devient plus technique. Et j'en ai aussi fait l'expérience, en effet. La technique fait tout autant partie de notre métier.
Couteaux dans le dos
GUIDO: Le film contient quelques scènes spectaculaires de braquages, dans lesquelles tu es masqué et parles même avec un déformateur de voix. N'est-ce pas frustrant pour un acteur de ne pas pouvoir utiliser son visage et sa voix?
Matthias Schoenaerts: Non, c'était parfait. Le concept de ces masques était très fort, car Gigi se cache aussi derrière un masque au sens figuré. Et ce déformateur de voix apporte quelque chose de spécial. Je trouve cela impeccable, c'est un moment très fort du film. Les masques sont également très cinématographiques. Ils rendent ces gars très dangereux.
GUIDO: Dans Le fidèle, tu parles en français et dans un dialecte bruxellois. Tu es un pro des langues?
Matthias Schoenaerts: Je n'en sais rien. J'ai été élevé dans trois langues, en italien, néerlandais et français. Cela a fait en sorte que je puisse facilement absorber les langues et je fais cela aussi avec plaisir. Je trouve ça marrant d'imiter quelqu'un de Gand ou d'autre part. Les langues ouvrent les portes du monde. Par exemple, je ne comprends pas que les langues ne soient pas enseignées au Conservatoire d'Anvers. Pour le reste, c'est une formation fantastique, mais sans langues. Ça me dépasse complètement. Quand on habite en Belgique, il faut quand même savoir parler français et anglais, non? Si tu maîtrises ces langues en tant qu'acteur, tu peux alors jouer en France, en Angleterre, en Amérique… Que faire sinon? Continuer à jouer en flamand dans ce même petit territoire?
GUIDO: Les gens fidèles sont-ils rares dans le milieu du cinéma? Matthias Schoenaerts: Il y en a quand même quelques-uns avec qui je me suis lié d'amitié. J'ai déjà pu travailler par deux fois avec Thomas Vinterberg, par exemple. Autour de moi, je vois également des gens qui ont conclu une sorte de pacte et qui continuent à travailler ensemble. Donc oui, la fidélité existe bien dans le monde du cinéma, mais ça reste un tricky business. On y croise des gens qui n'hésitent pas à se planter des couteaux dans le dos. Mais ce n'est pas uniquement le cas dans le cinéma.
GUIDO: As-tu déjà dû éviter ces couteaux?
Matthias Schoenaerts: Dans ma vie personnelle, oui, mais professionnellement, pas encore.
Surprises
GUIDO: Jusqu'à présent, tu as uniquement joué dans des films d'auteurs. Accepterais-tu de jouer le rôle d'un méchant dans un films de super-héros? Ou le rôle d'un Jedi?
Matthias Schoenaerts: Évidemment! Si c'est dans mes cordes et que le scénario est bon, pourquoi pas? Je suis intéressé par des choses que je n'ai pas encore faites. Eh bien, je n'ai pas encore fait ce genre de choses. Trois mois d'écrans verts, let’s do it. Il est possible que j'en aie déjà marre après deux jours (rires), mais ce serait en tout cas une expérience à vivre. La vie est pleine de surprises, et je veux toutes les vivre.
GUIDO: Qu'as-tu eu à sacrifier pour être ici aujourd'hui?
Matthias Schoenaerts: Je ne peux pas vraiment répondre à cette question. Si j'ai sacrifié quelque chose pour ma carrière, ça en a valu le coup, et donc ce n'était pas réellement un sacrifice. Je suis quelqu'un qui ne pense pas beaucoup au passé.
GUIDO: À quoi aurait ressemblé ta carrière si tu n'avais jamais rencontré Michaël R. Roskam?
Matthias Schoenaerts: Il n'y aurait peut-être pas eu de carrière. J'étais dans une dépression artistique, je voulais arrêter de faire l'acteur, quand Michaël m'a appelé en me disant qu'il avait enfin trouvé de l'argent pour tourner Tête de bœuf, un projet qui nous occupait depuis déjà quatre ans. Qu'est-ce que ce film signifie pour nous? Que nous a apporté ce film? Tellement de choses! Je ne serais pas ici aujourd'hui à répondre à des interviews si Tête de bœuf n'avait pas existé, c'est aussi simple que ça.