JEAN-YVES HAYEZ: 'Les étudiants n'ont pas changé'
Cette année, nous avons décidé de consacrer une interview dans chacun de nos magazines à un prof célèbre d'une université wallonne. Nous sommes donc partis à la rencontre de Jean-Yves Hayez , pédopsychiatre et professeur à l'Université Catholique de Louvain.
GUIDO: Quel a été votre parcours universitaire?
Jean-Yves Hayez :Après des études secondaires chez les Jésuites dans le Borinage, j'ai fait mes trois candidatures en médecine aux Facultés Universitaires Notre-Dame de la Paix à Namur. Ensuite, je me suis retrouvé à Leuven pour finir mon cursus universitaire. Les Wallons et les Flamands étaient encore mêlés à l'époque, c'étaient les derniers moments durant lesquels il régnait une bonne ambiance entre nous. Je n'ai jamais quitté l'UCL, vu que j'y ai aussi fait mon assistanat, durant l'époque de crise du Walen buiten.
'J'avais en moi le virus de l'enseignement'
GUIDO: Pourquoi vous être dirigé vers une carrière académique?
Jean-Yves Hayez :Il y a un double axe dans la carrière des médecins: l'axe du travail clinique, ce qui m'a amené progressivement à devenir un chef de service associé. Parallèlement à cela, il y a le côté académique, j'ai donc passé un doctorat en psychologie, ce qui m'a permis d'entreprendre une carrière académique. J'avais en moi le virus de l'enseignement, j'ai même tenté de commencer la philologie classique, mais c'est la médecine qui m'a rattrapé. J'ai toujours apprécié de dialoguer avec les jeunes, transmettre mes connaissances.
GUIDO: Quel souvenir gardez-vous de votre première journée à l'université?
Jean-Yves Hayez :Je venais d'un petit village du Borinage, je n'étais donc pas du tout un homme de la ville. J'étais en plus très timide et pas très habitué à trop de contacts sociaux. Si je ne devais employer qu'un seul mot, c'est que j'ai été impressionné. Les profs, pour moi, étaient des personnages lointains, auréolés de tout un savoir, je ne pensais donc pas remettre en question la transmission de savoir qu'ils proposaient. Les profs étaient pour moi des gens qui étaient sur une planète inabordable.
'Les cours sont un moment de transmission'
GUIDO: Comment concevez-vous votre façon de donner cours?
Jean-Yves Hayez :J'ai toujours considéré mes cours (que ce soit des cours magistraux ou des séminaires) comme un moment de transmission d'une expérience de vie ou une expérience scientifique. Donc, j'ai toujours pensé que je ne devais pas passer mon temps aux cours à lire ou à résumer mes syllabus. L'essentiel de mon enseignement est de l'ordre du témoignage, je parle de ce que j'ai vécu avec un certain cas plutôt que de développer une théorie sur le sujet. Je pense que c'est cela que les étudiants attendent de ma présence aux cours. Je me focalise donc plus sur une certaine transmission de soi plutôt que sur un résumé d'une quelconque matière. J'aime beaucoup leur proposer de dialoguer avec moi aux cours, échanger des opinions, avoir du return même si c'est difficile devant le plus grand nombre. J'aimerais même que ce soit parfois plus interactif que ce ne l'est déjà.
GUIDO: Quelle est la qualité indispensable d'un bon prof d' unif?
Jean-Yves Hayez : Pour moi, la qualité principale d'un prof d' unif doit être l'authenticité. Cela implique qu'il y a un certain nombre de questions dont on ne connaît pas la réponse, on est parfois dans l'incertitude. Il faut dire cela aux étudiants. On est dans une grande nuance d'idées, il ne faut pas que les étudiants croient que tout est établi.
GUIDO: Quelles sont selon vous les différences entre les méthodes d'apprentissage d'hier et d'aujourd'hui?
Jean-Yves Hayez :J'ai quand même l'impression qu'on impose encore aux étudiants médecins un savoir théorique de détails, encore plus que lorsque j'étais étudiant. On leur propose aussi une médecine plus technique, plus centrée sur l'ordinateur. Nous avions, nous, des maîtres qui étaient de très grands médecins cliniciens. Ils nous apprenaient vraiment à rencontrer le malade, le toucher, lui parler. On dirait que maintenant on habitue de plus en plus les étudiants à se référer à des examens paracliniques ou à des résultats de laboratoire. Je ne dis pas que l'art de l'examen clinique s'est perdu, mais il est un peu passé au second plan.
GUIDO: Y a-t-il aussi des différences dans le comportement des étudiants?
Jean-Yves Hayez : Comme l'a dit un poète: "Les valeurs de la jeunesse sont éternelles". Il y a beaucoup d'étudiants qui restent idéalistes, qui conçoivent leur métier comme quelque chose qui va donner du sens à leur vie, mais qui va aussi être un service pour la société. C'était ainsi lorsque j'étais étudiant et je crois que fondamentalement ça n'a pas grandement changé. Il y a quand même quelques différences, on était auparavant dans un rôle assez soumis, on ne mettait pas en question le savoir du prof, ce qui est le cas aujourd'hui et tant mieux. Ce n'est pas chez moi que vous entendrez un discours de vieux combattant disant que la jeunesse est en train de perdre son idéal et de sombrer dans le matérialisme.
'Il y a un fou dans l'auditoire!'
GUIDO: Il doit bien y avoir quelques expériences inédites dans la vie d'un prof d' unif…
Jean-Yves Hayez :En effet, je m'en souviens d'une en particulier. Je donnais un séminaire à une soixantaine d'étudiants en médecine et j'étais dans la cabine technique en train de préparer une vidéo quand un étudiant arrive précipitamment en me disant qu'il y a un fou dans l'auditoire. En effet, au milieu de l'auditoire se trouvait le prophète Philippulus! ( ndlr: pour les amateurs de Tintin, relire 'L' Etoile Mystérieuse') Un type de 40-50 ans, maigre, avec un grand imperméable était occupé à gesticuler comme un fou. J'ai vite remarqué qu'il n'était pas dans son état normal. Il venait en fait régler ses comptes avec les psychiatres qui ont gâché sa vie! Que faire alors avec soixante étudiants, effrayés, mais quand même curieux de voir ma réaction? Je lui ai donc donné la parole devant les étudiants. Il a alors commencé un discours tragi-comique, c'était un vrai schizophrène qui était persuadé que les psychiatres avaient volé son cerveau. Quand il est enfin parti, j'ai ramassé des tas de questions de la part des étudiants qui se demandaient pourquoi on laissait un tel schizophrène se balader librement, etc. Cet événement a donc ensuite donné lieu à l'un des plus beaux débats de ma vie.
GUIDO: Vous êtes également très engagé politiquement?
Jean-Yves Hayez : Oui, au sens large du terme. Par exemple, je fais partie de l'Observatoire Citoyen qui a suscité beaucoup de réactions au moment de l'affaire Dutroux. On a crée un Observatoire des Droits de l'Enfant, on a des coopérations avec l'Amérique Latine, j'essaie d'entraîner mes étudiants dans ces organisations. Quand il se passe un événement politique qui concerne les enfants, je l'attrape au vol et j'en discute au cours. Je veux que mes cours soient incorporés dans la société et ne soient pas des petites bulles en-dehors de toute réalité. Par exemple, j'ai commencé mon premier cours en psychologie sur les enfants de Meslan. A partir de là, je les fais réfléchir sur les enfants traumatisés par la violence politique en Bolivie. J'essaie aussi de les engager politiquement quand eux aussi sont victimes d'abus, comme par exemple la question du numerus clausus tel qu'il a été conçu. C'est un scandale d'arrêter les gens en dernière année d'études, de faire seulement des tris à ce moment-là.
(SD)
Deux conseils pour réussir l'examen du professeur Hayez
1. S'imprégner de la matière
'Il faut venir au cours, fermer les yeux et s'imprégner de tout ce qui se dit au cours, en prenant quelques notes, mais plus sur la manière dont je résonne ou j'envisage tel ou tel point que sur la matière en elle-même.'
2. Etre soi-même
'A l'examen, les étudiants ont le droit d'être eux-mêmes, mais sans être des farceurs. Je sais quand même repérer un étudiant qui fait une dissertation générale et vide pour meubler du papier et qui n'a jamais mis les pieds à mon cours d'un étudiant qui reprend des choses qu'il a entendues et les discute intelligemment. C'est évidemment le deuxième qui va me plaire.'