Intergalactic Lovers: «Personne ne boit des bières un lundi soir»

Le bassiste Raf De Mey a la version vinyle du troisième Intergalactic Lovers Exhale dans les mains quand on leur demande, à lui et à Lara, s'il n'a pas fallu attendre trop longtemps pour ce nouvel album. Jouer et chanter si peu n'a pas réellement plu à Lara Chedraoui et cet exercice de patience et d'incertitude, elle n'est pas prête à le réitérer.

Lara: L'album est sorti fin septembre, ça a duré trop longtemps pour moi. Le disque précédent était prêt en décembre et est sorti en février. C'était ainsi, une fois fait il fallait attendre. Il faut accorder du temps à tout le monde, car une fois que le disque sort, on est tout-à-coup de nouveau très occupés. Il y a tant de musique qui sort qu'il existe la peur que l'album sonne daté et que tu ne puisses plus rien y changer. Raf a proposé de laisser reposer le disque un certain temps. En mai, je l'ai écouté à nouveau et j'ai pensé: c'est bon, c'est ce que ça doit être.

Raf: Pour le public, il semblera tout frais sorti du studio.

Lara: Quand je suis en train de faire la vaisselle dans la cuisine, je pense: ça me manque vraiment! Pour moi, c'est aussi une thérapie. Le disque est alors enregistré mais tu ne peux rien en dire à personne, alors que je n'ai qu'une seule envie: faire écouter cette musique à tout le monde! Jouer de nouvelles chansons, c'est comme mettre un nom sur tes angoisses. Plus je chante et joue, moins ces angoisses sont présentes, à chaque concert. Je ne chante pas sauf quand je suis sur scène. Je n'ai donc pas ouvert la bouche entre septembre et juillet, alors que le chant est ma thérapie.

Raf: Durant l'année précédant les enregistrements, nous jouions en moyenne 120 concerts par an. Et rien pendant des mois, ça fait vide.

Lara: J'aime avoir mes habitudes, comme voir ces mecs chaque jour. Ils sont ma famille. J'ai donc dû me réhabituer à rester à la maison avec mon amoureux. J'ai hâte que ça recommence. Ta maison est un véritable foyer pendant les tournées, parce que tu sais que tu repars quelque temps après et tu profites alors de ce court moment. Mais pour une période plus longue, c'est à devenir fou. J'ai dû me retenir pour ne pas téléphoner à Raf et aux autres tous les jours: «On va boire une verre?». Personne ne boit des bières un lundi soir. (réticente) Ça a été un bon exercice, mais pas besoin de recommencer.

Faire tout soi-même

GUIDO: Beaucoup de groupes belges ne peuvent toujours pas vivre de leur musique.

Lara: Si tu veux en vivre, c'est possible, mais il faut alors faire certains choix. Et ce ne sont pas les nôtres. Pour le moment, j'y arrive en travaillant ici et là pendant certains jours.

Raf: Jusqu'à la fin de l'année passée, j'ai travaillé en tant que fonctionnaire. Et maintenant, j'étudie à mon aise la restauration des monuments, c'est un plan de plusieurs années. (rires)

Lara: Quand le premier album est sorti, je travaillais six jours sur sept dans un café. J'ai continué jusqu'à la moitié du deuxième disque et je me suis alors complètement effondrée. Ce qui t'a abîmé dans le corps est irréversible. Maintenant, j'ai pris une décision. Les autres choses arrivent en deuxième place. Je ne fais plus le même manège, qui te fait oublier quand c'est la nuit et le jour.

GUIDO: Les tournées doivent alors devenir plus confortables?

Lara: (résolue) Non!

Raf: On a l'intention de travailler davantage avec des roadies, on devient vieux! Tout le monde souffre de quelque chose: de l'épaule, du poignet, du dos… Physiquement, on s'use aussi vite qu'un ouvrier qui travaille toute sa vie. Et naturellement, on boit un verre par-dessus le marché, pour déstresser.

Lara: On fait tout nous-mêmes: chargement, merchandising, rangement. De cette façon, tu limites les coûts, évidemment. Un tour-bus, non, on ne peut pas se le permettre. Tu joues alors six shows au lieu de trente, je préfère jouer plus souvent. Je ne pourrais pas me l'imaginer autrement.

Le Moyen-Âge avec Internet

GUIDO: Le disque parle de lâcher prise, de perte de contrôle, de normalité?

Lara: Et de la recherche de 'ce qui est normal'. Comment se positionner dans le monde dans lequel nous vivons, sans être trop éthériques ou trop utopistes. Tout le monde est perdu. Si je réussis à l'école, que j'obtiens mon diplôme, que j'achète ma maison et que je suis ce modèle, je serai heureuse. Mais tu te retrouves alors à 32 ans, malheureux et tu ne sais pas pourquoi. Fais peut-être quelque chose qui te fait te sentir bien, ce que tu trouves normal! Si je suis de bonne humeur, j'oublie alors que tout le monde ne pense pas comme moi. Mais, je suis simplement qui je suis et je suis quelqu'un qui saute avant de réfléchir et qui fait confiance à tout le monde, même si ce n'est pas toujours bon. Parfois, cela amène de belles choses, et parfois tout le contraire. Suis-je pour cela dans l'erreur? Non. Mais je continuerai à me battre. Pourquoi l'herbe est-elle plus verte ailleurs? Ma pelouse est aussi OK! Avec cet album, j'ai vraiment l'impression que la dépression et les troubles mentaux sont réellement les maladies de notre époque. Beaucoup de personnes en ont honte, alors que l'inquiétude est en chacun de nous. Nous ne sommes que des animaux. Si tu penses que tu es l'animal parfait, tu fonces droit au mur. Ma sœur est toujours là pour me dire: «Tu en as bavé avec cette tournée, repose-toi un moment».

Raf: Même les temps libres sont devenus une prestation. Tout doit être fantastique. À mon âge, ils tombent comme des mouches, j'ai bientôt quarante ans. Et l'époque n'est pas pire qu'avant. Au niveau matériel, on ne manque de rien, mais mentalement… Ça explique le titre Exhale, ne rends pas les choses si difficiles!

GUIDO: Comment arrivez-vous à équilibrer des textes sombres avec une musique souvent plus légère?

Lara: Les garçons n'écoutent pas immédiatement les textes et je m'y suis habituée. Gil, qui a fait les enregistrements, m'avait demandé de donner mes textes en fichiers Excel, afin qu'il puisse voir et suivre chaque phrase. Quand on est sorti du studio, il m'a demandé: «You allright, dollface?» Quand tu le lis noir sur blanc, c'est parfois lourd. Give It Up, c'est Raf qui l'a écrit.

Raf: J'ai écrit cette chanson après les attentats du Bataclan à Paris, le jour de mon anniversaire. Lara en a fait quelque chose de très personnel, à partir de mon texte plutôt maladroit. Une soirée très bizarre, ces attentats.

Lara: En effet, on est en plein Moyen-Âge, mais avec Internet. On n'a jamais autant fait la promotion de la haine et de la peur.

Raf: Ces horreurs traversent malheureusement les époques. Ça me réjouit toujours de voir la joie et le bonheur des Africains alors qu'ils n'ont rien. Dans leur malchance et leur misère, ils prennent tout comme ça vient.

Lara: Les Africains ont des millions de projets. Peut-être que je tiens ça de mon père, il était aussi comme ça. C'est mieux d'avoir 150 rêves et d'en réaliser trois que de tout focaliser sur un seul rêve et de continuer à être malheureux. Je veux faire de la plongée, monter à cheval convenablement, faire un grand écart! J'ai des choses folles en tête, il y a tant de choses que j'aimerais faire. Si ça ne marche pas, je fais volte-face. Ça ne marchera jamais, mais ce n'est pas grave. Le monde est à tes pieds!


Photos: (c) Jens Mollen