Philippe Van Parijs (UCL): "J'en ai appris autant dans les auditoires qu'en faisant de l'auto-stop"
Le professeur Van Parijs est un vrai bourreau de travail. En plus d'être responsable de la Chaire Hoover, il partage son temps entre l'UCL et Harvard et quelques séjours dans les universités du monde entier (Kinshasa, Moscou, Oxford, Paris, …). Nous avons pu l'intercepter entre deux de ses voyages afin de lui consacrer cette interview.
GUIDO: Quel souvenir gardez-vous de vos années d'études?
Philippe Van Parijs : Durant mes années d'études, bien que n'étant pas un étudiant particulièrement assidu, j'ai quand même étudié, mais j'ai aussi surtout beaucoup lu. Je pense avoir appris autant dans les auditoires d'université qu'en faisant de l'auto-stop durant toute l'année. La formation que l'on peut recevoir en côtoyant des gens totalement différents les uns des autres, au hasard de mes auto-stops, ont été selon moi tout aussi formatives que les cours d'université.
GUIDO: A partir de quel moment avez-vous éprouvé le désir de devenir professeur d'université?
Philippe Van Parijs : Du temps de mes études secondaires, j'avais déjà le souhait de devenir professeur car c'était le genre de choses qui aurait pu me donner la liberté que je souhaitais.
GUIDO: Est-ce davantage l'aspect chercheur ou pédagogue qui vous a attiré?
Philippe Van Parijs : J'ai été longuement chercheur au Fonds National de la Recherche Scientifique. J'y serais resté volontiers toute ma vie si l'université n'avait pas insisté pour que je le fasse dans le cadre académique. Ce qui me semblait important, c'était de tirer au clair certaines questions qui m'interpellaient. Ce qui me plaisait le plus à l'université, c'était son milieu cosmopolite et la faculté de pouvoir voyager facilement. L'aspect 'enseignement' ne me rebutait pas non plus, car je trouvais cela intéressant de former d'autres personnes à certaines choses qu'on a péniblement essayé de comprendre soi-même. Cela me semblait un complément naturel à la recherche.
GUIDO: Comment votre carrière a-t-elle commencé?
Philippe Van Parijs : J'ai commencé ma carrière en donnant cours de philo au premier semestre de la première candidature, mais le Recteur de l'époque, Monseigneur Masseau, avait jugé mon cours trop subversif. On m'en a donc déchargé après trois années.
"La liberté de parole des universitaires est totale"
GUIDO: Vous avez donné cours aux quatre coins du monde, notamment à Harvard. Quelles sont les différences que vous avez pu notées entre les étudiants belges et américains, par exemple?
Philippe Van Parijs : C'est très difficile de généraliser car Harvard, c'est pas l'Amérique. C'est l'extrême gauche de l'Amérique de par son orientation et celle de ses professeurs. C'est en effet perçu comme un bastion progressiste très anti-Bush, par exemple. Harvard se veut être et est une université d'élite, avec une sélection extrême au niveau de l'accès. Et nous avons une forte majorité de non-Américains à nos cours. Les attentes sont donc naturellement différentes entre Harvard et Louvain-la-Neuve, il faut voir l'ampleur des lectures qu'on peut attendre des étudiants. Ils doivent lire par semaine ce qu'on ose à peine demander à nos étudiants de lire en un semestre! Mais, attention, l'enseignement y est organisé de manière totalement différente…
GUIDO: On imagine que l'ambiance qui y règne doit être totalement différente de celle de nos universités…
Philippe Van Parijs : Oui, en effet, et ceci est principalement dû au fait que les étudiants undergraduates sont obligés de résider dans une des résidences universitaires. Ils mènent une vie très intense entre eux.
GUIDO: Vous avez également donné cours à Kinshasa!
Philippe Van Parijs : C'est là-bas que l'un des étudiants m'a dit cette phrase marquante: "Nos intellectuels ont la bouche tellement pleine qu'ils en deviennent incapables de parler". Il voulait dire par là qu'à force d'être nourris et choyés par les pouvoirs en place, on en perd ait l'incapacité de s'exprimer librement. Cette liberté de parole des universitaires est justement quelque chose qui me tient fort à cœur. Nous, universitaires, avons à la fois une liberté et une responsabilité que les politiques et les journalistes n'ont pas. Parce qu'on ne dépend pas de la faveur de nos électeurs ni de nos lecteurs. C'est à nous qu'incombe la tâche de dire certaines choses, même si elles ne plaisent pas forcément.
GUIDO: Durant votre carrière académique, vous n'avez cessé de voyager dans les universités du monde entier. D'où vous vient cette envie de constamment bouger?
Philippe Van Parijs : Je trouve cela extrêmement important et intéressant pour les universitaires de voir autre chose que l'institution dans laquelle ils travaillent. S'immerger dans la vie d'une autre institution universitaire est quelque chose de vraiment précieux pour la qualité de notre travail ultérieur. Je ne vois pas cela comme une infidélité à l'égard de l'institution dans laquelle on travaille mais plutôt comme une bonne manière de renforcer nos contacts.
Bob Marley le philosophe
GUIDO: Quelle est, selon vous, la principale qualité à développer quand on est professeur à l'université?
Philippe Van Parijs : L'enthousiasme, sans hésiter. Pour moi, il est essentiel de communiquer aux étudiants la conviction de l'importance de la matière qu'on enseigne. On n'est pas là pour déverser un savoir que l'on a acquis et dans l'importance duquel on ne croit guère. Par contre, on se doit d'alimenter la flamme qui se trouve en chacun des étudiants. Notre tâche d'enseignant est de nourrir cette flamme, ce qui ne peut se faire que si on est habité d'une telle flamme soi-même.
GUIDO: Quels seraient les conseils que vous donneriez aux étudiants afin de réussir votre examen?
Philippe Van Parijs : L'essentiel est de parvenir à penser rigoureusement par soi-même. Faire sa propre synthèse, formuler des questions dont on parvient à voir l'intérêt et au service de la réponse à cette question, mobiliser tout ce qu'on peut trouver autour de soi de réflexions, de connaissances pour les ordonner de manière rigoureuse.
GUIDO: Avez-vous assisté à des situations farfelues lors de vos cours?
Philippe Van Parijs : Lors de mon cours d'introduction à la philosophie en première candi, je consacrais une heure de cours à donner un aperçu schématique de l'histoire de la philosophie. Après avoir présenté les principaux auteurs, je demandais alors chaque fois aux étudiants si il y avait d'autres philosophes qu'ils aimeraient voir situer dans ce tableau schématique. C'est alors qu'un étudiant me demande de situer Bob Marley! Honte sur moi, à l'époque je ne connaissais pas ce personnage! J'ai donc noté le nom en question et j'ai dû me renseigner auprès de mes enfants pour le situer. Au cours suivant, j'ai donc dû essayer de situer Bob Marley sur le tableau généalogique des philosophes!
GUIDO: Comment pensez-vous être perçu par les étudiants?
Philippe Van Parijs : Pour savoir ce que les étudiants pensent de moi, encore faut-il leur demander! Mais je sais en tout cas que je ne gagnerai pas le prix du prof le mieux habillé! ( rires) Mais j'ai fait quelques progrès, maintenant je repasse quand même mes chemises!
(SD)
Le Professeur Van Parijs en prison!
"C'est durant mes études à Saint-Louis que je me suis retrouvé pour la seule fois de ma vie en prison! Quand j'étais alors président du CAU, on a assisté à une grève de la faim en faveur des étudiants étrangers. J'ai donc décrété une grève de solidarité à Saint-Louis et nous avons fait une marche vers le Ministère de la Justice. Il y a eu quelques écarts et un certain nombre d'entre nous ont été embarqués par la police de Bruxelles et ont passé un certain nombre d'heures pas vraiment confortables dans une des cellules du bureau de police de Bruxelles."