Après 40.000 ans, l'Homme de Spy a enfin un visage!
Depuis le début de cette année, Onoz, un village du Namurois, compte un habitant de plus. Cet homme s'appelle Spyrou et est un homme de Néandertal. Une équipe de scientifiques belges et d'artistes hollandais ont en effet élaboré une reconstruction hyperréaliste à taille réelle de ce à quoi l'homme de Spy - car il s'agit bien de ce jeune Wallon âgé de 40.000 ans - aurait dû ressembler. Alors que Spyrou, en route vers sa nouvelle maison dans l'Espace de l'Homme de Spy dans la province de Namur, était mis à l'honneur au Musée des Sciences Naturelles de Bruxelles, nous en avons profité pour tailler une bavette avec ses créateurs.
En 1886, Maximin Lohest et Marcel De Puydt découvraient dans la grotte de Spy quelques restes d'hommes préhistoriques. Après analyse, il est apparu que cette sorte différait radicalement de l'homme moderne. L''Homme de Spy' était un Néandertal.
Squelette virtuel
Les os furent datés: les Hommes de Néandertal de Spy étaient âgés d'environ 40.000 ans. Quand les héritiers de Lohest ont offert les restes à l'Etat Belge en 1994, ils ont immédiatement été ajoutés à la collection du Musée des Sciences Naturelles de Bruxelles, le musée des dinosaures. C'est là qu'un plan a été mis au point afin de réexaminer attentivement les os à l'aide d'un matériel scientifique moderne, entre 2003 et 2008 sous la supervision du paléoanthropologue Patrick Semal. «Grâce à nos recherches, on a pu mettre à jour qu'on a découvert non seulement deux squelettes partiels d'Hommes de Néandertal adultes au 19ème siècle dans la grotte de Spy, Spy I et Spy II, mais également les restes d'un enfant de moins de 20 mois, qu'on a appelé Spy VI,» nous explique-t-il.
Bien qu'aucun des squelettes de Spy ne soit complet, Spy II constituait cependant une base solide pour une reconstruction totale. Cette reconstruction s'est en premier lieu déroulée de façon virtuelle, avec l'aide de la chercheuse Tara Chapman de l'ULB. «Dans notre labo, nous avons conçu virtuellement le squelette de Spy II sur ordinateur,» raconte Tara. «Pour les os manquants, nous nous sommes basés sur les restes d'Hommes de Néandertal trouvés dans d'autres pays d'Europe que nous avons mis à l'échelle de Spy II. Ensuite, nous avons effectué une analyse biomécanique, afin de nous faire une idée de la façon de marcher de l'Homme de Néandertal.»
Le logiciel a-t-il été développé spécifiquement pour ce projet? Tara répond: «Non, nous avons utilisé des clinical evaluation tools que l'on emploie également dans la recherche sur des personnes souffrant de diverses maladies musculaires. Ainsi, nous avons pu arriver à reconstituer un squelette virtuel entier de l'Homme de Spy. Que nous avons enfin imprimé en 3D.» Pardon? Imprimer en 3D?! «En effet,» sourit Tara, «à l'aide d'une imprimante laser spéciale qui a découpé le squelette couche par couche dans une matière synthétique spéciale. Cela nous a pris 36 heures. Sur base des os individuels, nous avions estimé la hauteur de l'Homme de Néandertal à 1 mètre 59, mais notre modèle fait maintenant seulement un mètre et demi de haut.»
Une reconstruction plus vraie que nature
Le squelette de Spy II a été 'imprimé' à deux reprises. Un exemplaire a été envoyé au Musée des Sciences Naturelles tandis que l'autre s'est retrouvé en Hollande, dans l'atelier des jumeaux excentriques Adrie et Alfons Kennis, des artistes spécialisés dans la fabrication de reconstructions hyperréalistes d'hommes préhistoriques à taille réelle. Ils ont ainsi réussi l'exploit de transformer le squelette de Spy II en un Spyrou plus vrai que nature. Bien que les deux frères soient extravertis et plutôt enthousiastes, c'est surtout Adrie qui répond aux questions. Aussi quand c'est GUIDO qui pose les questions.
GUIDO: Paléo-artiste, c'est un métier dont on peut vivre?
Adrie: Et comment. Nous travaillons pour plusieurs musées, pour National Geographic... La reconstruction de la momie des glaces Ötzi est également une de nos œuvres.
GUIDO: Combien de temps vous a-t-il fallu pour créer Spyrou?
Adrie: Six mois, à deux. Le problème a commencé dès que nous avons reçu le squelette. La colonne vertébrale était complètement coincée, si bien qu'on était dans l'impossibilité de lui donner la bonne posture. On a donc scié l'épine dorsale vertèbre par vertèbre en y ajoutant du cartilage. On a ensuite eu à trouver la meilleure posture. Il faut prendre en compte le fait que nous faisions une représentation d'un homme nu, ce qui est toujours compliqué, surtout quand on sait que beaucoup d'enfants visiteront le musée en question. On a ainsi voulu lui donner une pose détendue. Pour ce faire, nous avons examiné des photos d'aborigènes de différents continents, jusqu'à tomber sur celle d'un Papou nu qui avait la bonne posture. Nous avons donc fait de même avec Spyrou. Il a fallu ensuite s'attaquer aux muscles. Il faut savoir que nous avons la chance d'avoir un taxidermiste qui travaille non loin de chez nous. Un jour, quand nous avons appris qu'il venait de recevoir le corps d'un chimpanzé, on s'est empressé de lui rendre visite pour examiner de près les muscles du singe. Nous avons aussi regardé des tas de photos de bodybuilders, vu que les Hommes de Néandertal étaient des gars bien musclés. Finalement, nous avons 'collé' les muscles en argile sur le squelette, à l'aide d'un atlas d'anatomie Acland. Ce n'est qu'ensuite que nous avons commencé avec le visage.
GUIDO: Vous faites tout à deux ou vous répartissez-vous les tâches?
Adrie: Non, cela se fait naturellement. Dans le cas de Spyrou, j'ai fait le visage et Alfons les pieds, mais lors de notre prochain projet, cela pourrait aussi bien être l'inverse. Il fait la jambe droite, je fais la jambe gauche, cela n'a pas d'importance. Enfin bref, le visage donc. Nous avons utilisé la méthode de Manchester, grâce à laquelle on peut donner l'épaisseur de la peau avec quelques points sur le crâne. On voulait donner à Spyrou un visage sympathique et ainsi s'éloigner du stéréotype de brute épaisse qui colle à la peau de l'Homme de Néandertal. Nous avons beaucoup surfé sur Google, et à notre grand étonnement, on bloquait à chaque fois sur une photo de Sean Connery...
GUIDO: (rires)
Adrie: Oui, cet homme possède un sourire sympathique qui s'adaptait parfaitement à notre Spyrou. Il ne fallait pas non plus qu'il sourie trop, car un mec à poil qui grimace, ça peut vite faire trop vulgaire. C'est un travail subtil, on a beaucoup réfléchi à cette question. Tu trouves peut-être que Spyrou a des pieds larges et gros. Il faut alors penser que cet homme n'a jamais porté de chaussures. Il n'a donc pas de pieds aussi délicats que les nôtres. Un Homme de Néandertal ne ressemble non plus à un homme blanc fraîchement sorti de sa douche. Pour la peau, on réalise toujours des essais sur des personnes vivantes, afin que les pores et les rides aient une apparence réaliste. Notre victime favorite est notre propre mère, qui possède un visage bien ridé. Pour Spyrou, on ne pouvait malheureusement pas l'utiliser, car l'Homme de Spy n'était pas aussi vieux quand il est décédé, il ne devait pas avoir trop de rides. Quand le modèle en argile a enfin été prêt, on a placé du caoutchouc tout autour, rajouté un support et un moule par-dessus le tout. Que nous avons rempli de résine, le moule va ensuite dans un moulin afin que la silicone se dépose dans tous les recoins. Quand la version en silicone est prête, il faut encore s'atteler à la finition. On a par exemple passé trois jours à planter un à un tous les poils et les cheveux. Nous n'avons pas utilisé de poils humains. Ses cheveux proviennent d'un bœuf écossais et sa barbe d'un yack.
GUIDO: Et les poils de son pubis?
Adrie: (rires) Mais quel genre de magazine est le Guido Magazine? Si tu veux vraiment le savoir: le pubis de Spyrou a été réalisé à partir de poils de yack.
Pour ceux qui veulent voir l'homme de Spy de plus près, c'est possible à l'Espace de l'Homme de Spy à Onoz, une entité de Jemeppe-sur-Sambre, tout près de la grotte de Spy.
www.hommedespy.be