Interview avec Chokri Mahassine fondateur et figure de proue du Pukkelpop
'Je crois dans la force des gens qui veulent atteindre un but. Quand tu es le patron – que ce soit d'une entreprise, une organisation ou une école – le plus important est de se fondre avec le reste du groupe. Les laisser profiter de ce que tu fais. Tu dois enthousiasmer les gens'.
Chokri Mahassine, la force motrice du Pukkelpop et le premier Belge d'origine marocaine au Parlement, nous donne des conseils pour être un bon manager dans un grand festival. Quelques dates-clés Chokri Mahassine vient d'une famille typique d'immigrés. Il est né à Casablanca et y a habité jusqu'à ses 5 ans. En 1965, ils ont déménagé, direction l'Europe, avec comme première étape Marseille. Son père est parti à Bruxelles et a trouvé du travail à Tessenderlo. Quelques mois plus tard, toute sa famille l'a rejoint. Chokri a passé toute sa jeunesse dans une cité multiculturelle. Ensuite, il a rejoint Gand pour des études d'ingénieur agronome, a bissé et a décidé de faire l'école normale de Hasselt, en sciences/géographie. En 1983, Chokri trouve directement du travail, à la mutualité socialiste, en tant que responsable pour le mouvement de jeunesse du Limbourg. Il fait ensuite fait beaucoup de travail en tant qu'éducateur de rue avant de devenir prof en 1988. En 1999, il est élu directement au Parlement Flamand après un détour par la Chambre fédérale. En 2000, il est aussi élu au conseil communal de Leopoldsburg. En 2003, il démissionne car il déménage à Genk et souhaite aborde son combat politique pour les élections de 2006.
GUIDO: Quand avez-vous commencé l'aventure du Pukkelpop?
Mahassine: En 1981, ma petite amie (qui est maintenant ma femme) et moi, nous avons lancé un mouvement de jeunesse. Comme ça, lors de nos heures perdues. Ce fut un mouvement qui tournaient très bien car nous avions beaucoup d'attention pour ce qui intéressait les jeunes: la musique, les fêtes, les spectacles… Tout ce qui concerne la musique. En 1985, nous avons décidé de créer notre propre festival. 2.500 personnes sont venues sur le terrain de football de Heppen/Leopoldsburg. Ce fut un festival alternatif d'une bonne qualité. Je me suis alors entouré de personnes du milieu de la musique. Ils m'ont ouvert à un nouveau monde, la scène alternative, le milieu underground. C'est ainsi que nous avons pu construire le Pukkelpop. Nous avons déménagé vers le champ d'aviation militaire de Leopoldsburg, où nous visions 12.000 personnes. Maintenant, nous sommes à Kiewit/Hasselt, où nous avons durant trois jours 40.000 à 45.000 personnes par jour.
Pas de one man show
GUIDO: Comment un couple arrive-t-il à lancer un mouvement de jeunesse?
Mahassine: C'est ce dont j'ai manqué durant ma jeunesse, une association socio-culturelle. J'ai toujours été très social. A l'école normale, nous avions un cours de morale. C'est grâce à cela que j'ai appris à connaître l'humanisme. Selon moi, rassembler les gens est très important. Faire des choses ensemble, c'est le fil conducteur de ma vie.
GUIDO: Comment se fait-il que le Pukkelpop soit devenu un si grand festival, alors que plein d'autres n'arrivent pas à décoller?
Mahassine: Grâce à la volonté et la détermination. Je crois beaucoup au concept du self-made. Les jeunes peuvent atteindre beaucoup de leurs buts, grâce à leur propre force. Partout où il y a de l'envie, il y a un résultat. J'ai aussi la capacité d'enthousiasmer les gens. Une raison de notre succès vient aussi du fait de nos bons liens, notre bonne collaboration. Ainsi, nous avons énormément bien collaboré avec Herman Schueremans (
ndlr: le big boss de Rock Werchter), qui était déjà beaucoup plus loin à l'époque. En m'entourant de gens qui avaient la passion de la musique, il y a une certaine vision qui est née et qui a bien marché. Cette vision veut que la musique alternative soit de la bonne musique. Nous les emmenons vers le sommet. C'est la clé de notre succès, notre collaboration. Le Pukkelpop n'est certainement pas un one man show. Naturellement, je suis la force motrice, la figure centrale, le porte-parole dans les médias. Mais, les autres font aussi de leur mieux.
GUIDO: Quelle est la taille de 'l'entreprise' Pukkelpop?
Mahassine: Il y a une cinquantaine de personnes qui y travaillent toute l'année. Au fur et à mesure que le festival s'approche, il y en a de plus en plus. Quelques centaines pour la construction. Dans le festival même, nous sommes 2.000-2.200 par jour. La clé de notre succès, c'est que nous savons très bien ce que nous sommes en train de faire. Et que nous négocions bien, à propos de tout. Avec les artistes, les fermiers (
sur les terrains, ndlr), à propos de l'infrastructure. Tu dois toujours être le plus clair possible. Tu dois être sain dans ta manière de gérer les moyens, car quand ils sont partis, ils sont partis. Nous avons réalisé beaucoup de choses en gérant nos moyens de la manière la plus appropriée. Si tu le fais toi-même, alors les collaborateurs t'emboîteront le pas.
Toujours les premiers
GUIDO: Est-ce si difficile pour un festival d'être rentable?
Mahassine: Ce n'est certainement pas facile d'être rentable. Beaucoup d'événements ont déjà dû stopper. Nous avons aussi eu nos années difficiles mais elles sont maintenant derrière nous. Nous sommes maintenant de nouveau où nous nous devons d'être. Et dans les années qui suivent, on tentera d'avancer. Le succès du Pukkelpop repose sur le fait qu'on a toujours été les premiers. Au début, le Pukkelpop se déroulait en un jour, avec 7 groupes, comme tout le monde. Au début des années nonante, il y a eu un boom, quand nous avons commencé avec différents podiums. Pour l'instant, on en a 6. Nous avons aussi été les premiers à se diversifier. Dance, techno, house, pour nous, cela n'était pas réservé aux discothèques, mais aussi aux festivals. D'autres ont suivi notre voie, et nous avons aussi été les premiers à étaler le festival sur plusieurs jours. On veut sans cesse se renouveler. Que pouvons-nous rajouter? Electro, post-rock, … nous avons été les premiers, maintenant c'est complètement assimilé. On a vu la naissance de Nirvana, juste avant leur percée. Radiohead, Smashing Pumpkins, … vingt, trente grands noms ont fait leur percée chez nous. C'est à cela qu'on aspire, ainsi le Pukkelpop a une certaine crédibilité et devient un nom à retenir.
GUIDO: Existe-t-il assez de bons groupes pour toujours continuer à se renouveler?
Mahassine: Il faut encore et toujours chercher. L'important est d'avoir autant de grands noms que de groupes alternatifs. Qu'est-ce qui rythme actuellement l'underground? Quel est le son de demain? Les jeunes sentent que c'est à cela qu'on aspire. Tu n'as peut-être pas les meilleurs, mais tu as un courant qui se développera dans le futur. La musique n'est pas statique. En tant qu'organisation, tu dois bien avoir cet état d'esprit. Le Pukkelpop y a toujours été attentif.
GUIDO: Enfin un mot au sujet de la politique. Vous êtes-vous lancé dans la politique pour collaborer avec les gens?
Mahassine: Evidemment. Comme je l'ai déjà dit, j'ai travaillé pour les mutualités socialistes du Limbourg. J'y ai appris à connaître le socialisme, auquel je me suis rapidement attaché. Là-bas, j'ai aussi rencontré beaucoup de personnes qui étaient dans les hautes sphères de la politique, avec entre autres Steve Stevaert, qui était encore patron d'un café. J'ai alors changé de job et j'ai eu beaucoup de boulot avec le Pukkelpop. En 1995, Stevaert m'a demandé d'apparaître sur les listes. J'y ai beaucoup réfléchi et dit 'OK, mais je ne veux pas faire décoration'. Je voulais tôt ou tard siéger au Parlement. En 1995, j'étais deuxième suppléant, en 1999, j'avais une bonne place pour être élu.
GUIDO: Quel est votre but en politique?
Mahassine: Rassembler les personnes. Je suis contre l'isolement, contre le mouvement actuel du 'chacun pour soi'. J'aspire à plus de solidarité, à une société sociale dans laquelle les personnes dans le besoin pourront sortir de leur misère, une société dynamique et créative.
(DDW)