Les confessions d'un ancien détective privé
Qui n'a jamais été fasciné par la mystérieuse profession de détective privé? Ils foisonnent en effet dans la fiction, dans les romans comme au cinéma. Pourtant, près de chez nous, ils sont des centaines à œuvrer dans la plus grande discrétion. Nous avons rencontré l'un d'entre eux fraîchement reconverti en médiateur afin d'en savoir plus sur ce métier insolite.
Après des études en psychologie à Louvain, Philippe Dylewski a entamé sa carrière professionnelle par une année en tant qu'éducateur pour les jeunes délinquants. N'ayant pas accroché avec cette profession, il décide d'acheter un registre de commerce en activité complémentaire et se tourne vers le recrutement pendant quinze ans. Jusqu'à ce qu'il décide de devenir détective privé…
«Il n'y a jamais de dénouement heureux»
GUIDO: Comment devient-on du jour au lendemain détective privé?
Philippe Dylewski:En Belgique, il existe une formation de deux ans en cours du soir accessible à tous les détenteurs d'un diplôme d'études secondaires. Ces écoles sont agréées par l'Etat et sont au nombre de deux en Wallonie, à Charleroi et Liège.
GUIDO: Comment cette idée vous est-elle venue à l'esprit?
Philippe Dylewski:En regardant la télé! J'avais envie de faire quelque chose d'exotique et rencontrer des gens que je ne côtoyais pas alors. J'étais dans le business depuis quinze ans et je commençais à tourner en rond, je ne voulais plus avoir de personnel ni gérer des équipes.
GUIDO: Le cliché du détective privé, c'est pour beaucoup un gars en planque dans sa voiture en train de traquer un possible adultère…
Philippe Dylewski:C'est beaucoup ça, en effet. Il y a une forte demande de ce côté-là. Pour moi pourtant, cela n'a aucun intérêt. C'est surtout très triste comme situation. Vous ne rencontrez que de la tristesse et du chagrin et vous en provoquez encore plus. Et puis, moi, je m'en fous de qui couche avec qui! C'est sans intérêt. En cinq ans, j'ai dû faire ce genre de mission trois fois. Et les trois fois, je l'ai regretté.
GUIDO: Quelles étaient alors les principales missions qui vous étaient confiées?
Philippe Dylewski:La recherche des personnes pour le compte de familles ou d'avocats. Et c'est principalement pour cette raison que je suis devenu détective. C'est bien plus passionnant que la traque d'adultères. Ceci mis à part, l'essentiel de mon activité, c'était le renseignement industriel.
GUIDO: Avez-vous le souvenir d'une mission avec un dénouement particulièrement heureux?
Philippe Dylewski:Il n'y a jamais de dénouement heureux. En tout cas, je n'en ai jamais vu. Chaque fois, ça se passe mal. Cela provoque pas mal d'embarras et de remous au sein des familles.
«Je me souviens d'avoir passé une soirée de Saint-Valentin sous un lampadaire»
GUIDO: Quels sont les principaux inconvénients du métier de détective privé?
Philippe Dylewski:Un des grands inconvénients du métier, selon moi, est de travailler seul. C'est plutôt paradoxal étant donné que je me suis lancé dans cette nouvelle profession pour cette raison-là, mais cela m'a vite manqué de ne plus travailler en équipe. Un autre inconvénient, ce sont les heures d'attente. Il y a quelques années, je me souviens d'avoir passé ma soirée de Saint-Valentin sous un lampadaire!
GUIDO: Est-ce que vous conseilleriez aux étudiants de se lancer dans cette carrière atypique?
Philippe Dylewski:Oui. Même si j'ai passé beaucoup de temps à poireauter dans la bagnole ou à faire des filatures absurdes, ce métier apporte pas mal de choses géniales, comme de retrouver quelqu'un par exemple. Cela procure un kick incomparable. Parfois, on est amené à monter des scénarios plutôt comiques pour obtenir des renseignements et ainsi arriver à ses fins.
GUIDO: La profession est-elle bien représentée en Belgique?
Philippe Dylewski:Les données sont publiques. Il est donc possible d'obtenir la liste complète des détectives privés sur le site du Ministère de l'Intérieur. Il y a un peu plus de 900 personnes qui sont détenteurs d'une licence, mais cela ne veut pas dire pour autant qu'ils sont tous détectives privés à temps plein.
GUIDO: Vous avez décidé de sortir un livre sur les ficelles du métier (voir encadré ci-dessous). Pour quelle raison?
Philippe Dylewski:J'ai commencé à écrire ce livre en revenant de vacances après avoir travaillé sur une grosse affaire de crime électronique (trafic de matériel pédopornographique). Mon client ayant été condamné sans la moindre preuve, ça m'a véritablement sidéré. J'ai donc été au procès en appel et j'ai de nouveau été frappé de voir à quel point le président du tribunal ne comprenait rien et le procureur était totalement débile!
GUIDO: Pourquoi avoir arrêté d'être détective privé après cinq années de pratique?
Philippe Dylewski:En partie à cause d'une distraction (l'oubli de demande de renouvellement de ma licence) et en partie à cause de ce métier extrêmement offensif. Quand on attaque, il ne faut s'attendre à rien d'autre qu'à une riposte. Dans les affaires familiales, c'est systématique: si vous faites un sale coup à quelqu'un, il va vous faire un sale coup encore plus gros, ça n'en finit jamais. A la longue, j'ai commencé à trouver cela déplaisant. Je suis donc maintenant médiateur auprès des tribunaux en matières civiles et commerciales. C'est vers cela que je voulais me diriger. J'avais envie de régler les choses au lieu d'être toujours dans l'attaque.
Le livre qui dénoue les ficelles du métier
«En rentrant de vacances, je me suis mis à gribouiller le manuel que j'aurais aimé avoir à l'école. Un livre pratique et concret.» Au départ écrit pour son public principal, à savoir les chefs d'entreprise, Espionnage et Renseignement est également destiné à ceux qui veulent en savoir sur des thèmes aussi divers que, entre autres, la traque d'infos sur la concurrence, le b.a.-ba des planques et filatures, la recherche de personnes ou les logiciels d'espion.
En révélant les ficelles du métier, les autres détectives privés n'ont-ils pas réagi à la publication de ce livre? «J'ai en effet reçu pas mal de mails d'ex-confrères assez mécontents ou inquiets. ça ne me semble pas légitime car si on peut apprendre un métier en lisant un bouquin, c'est que ce métier en soi est déjà bien fragile. Deuxièmement, on a écrit des milliers de bouquins sur le recrutement et cela n'empêche pas les cabinets de recrutement d'exister. Je ne vois donc pas pourquoi ce serait différent avec les détectives privés.»
Dans le livre, un chapitre est consacré au web caché («désormais, on peut tout trouver sur Internet! Il ne faut pas être un génie pour y arriver, il suffit de trouver le fil et de tirer dessus») ou aux techniques comportementales pour détecter le mensonge («quand vous connaissez les gens, il est facile de comparer; le débit de parole est un peu plus lent et les mouvements oculaires différents quand ils mentent»).
'Espionnage et Renseignement: Comment tout savoir sur tout le monde dans les entreprises et ailleurs', disponible sur www.agakure.eu