Son métier: préparer les cadavres!
Quand Bernard Caelen a contacté le Guido Magazine pour parler de son métier, on en est resté circonspect pendant quelques minutes. Il est en effet prosecteur à la Faculté de Médecine de l'UCL (Woluwe). En d'autres mots, il prépare les cadavres pour les étudiants en médecine. Un métier qui en dégoûterait plus d'un, mais que Bernard exerce avec une passion certaine.
GUIDO: Avant d'arriver à l'unité d'Anatomie humaine, vous aviez plutôt un job de bureau.
Bernard Caelen: J'ai un très long parcours professionnel. Je m'étais d'abord destiné aux sciences économiques avant de passer par tous les cas de figures possibles et imaginables: CDD, délocalisation, faillite, restructuration du personnel, … J'ai ainsi exercé mille et un métiers. Je travaillais dans un service de facturation avant de tomber sur une offre d'emploi pour un prosecteur. C'est l'aspect 'contrat à durée indéterminée' de l'annonce qui m'a tout de suite sauté aux yeux! Je me suis alors dit: «Pourquoi ne pas troquer son stylobille contre un bistouri?»!
«Pendant six mois, j'ai caché à ma femme que je travaillais avec des cadavres»
GUIDO: L'offre d'emploi décrivait-elle précisément le métier de prosecteur (technicien en anatomie)?
Bernard Caelen: J'allais un peu vers l'inconnu, je dois l'avouer. C'était bien enrobé! Il y était par exemple mentionné 'accueil des corps légués à la science'. Dans un premier temps, j'ai cru naïvement que cela se limitait à attendre les pompes funèbres et leur dire où déposer le corps! Ou encore 'préparation des pièces ostéologiques pour les étudiants'. Je pensais qu'il m'aurait suffit d'assembler des squelettes en plastique, avec des vis et des boulons. Ce qui n'est pas le cas, bien évidemment. Il faut en effet jouer du bistouri dans mon métier.
GUIDO: Comment a réagi votre entourage à l'annonce de ce drôle de tournant que prenait votre carrière?
Bernard Caelen: Mon entourage n'a pas su immédiatement ce que je faisais, pas même mon épouse! Je ne tenais en effet pas à ce que l'on me sape le moral avant que je ne commence. Pour eux, je faisais du travail administratif aux Cliniques Saint-Luc! Après ma période d'essai de six mois, quand j'ai enfin signé mon contrat, on a fêté ça au restaurant et j'ai enfin pu révéler la vérité à mon épouse.
GUIDO: Quels sont les principaux actes que vous posez sur les corps, en tant que prosecteur?
Bernard Caelen: Nous accueillons ici la dépouille des personnes qui ont légué leur corps à la Science. Notre métier consiste principalement à poser tous les actes techniques sur ces dépouilles. Le premier acte consiste à embaumer les corps pour arrêter le processus de putréfaction et ainsi les conserver pour des travaux futurs: les travaux pratiques de dissection pour les étudiants en deuxième année de médecine ou la recherche scientifique et médicale.
GUIDO: Quelles qualités sont requises pour exercer ce métier?
Bernard Caelen: Le métier de prosecteur demande une certaine dextérité, de la curiosité pour chercher de nouvelles techniques et un bon sens de l'organisation (étant donné que l'on travaille avec de plus en plus d'étudiants et de moins en moins de corps).
«C'est un métier très social, grâce notamment aux contacts privilégiés avec les étudiants en médecine»
GUIDO: Côtoyer la mort jour après jour, est-ce facile à supporter?
Bernard Caelen: J'ai l'habitude de préciser que je ne vis pas constamment avec les cadavres. C'est un métier très social, grâce notamment aux contacts privilégiés avec les étudiants en médecine. On les encadre et on essaie de dédramatiser la chose.
GUIDO: Quelles sont les réactions des étudiants face à leur première dissection de corps humain?
Bernard Caelen: Cette première dissection est attendue avec impatience par certains, crainte par d'autres. Certains étudiants arrivent en n'ayant jamais vu un cadavre de leur vie. C'est un double choc pour eux: ils côtoient la mort pour la première fois et doivent également poser un acte technique sur un corps. On les encadre donc psychologiquement.
GUIDO: Malgré le caractère "morbide" de votre métier, vous arrivez pourtant à décompresser avec votre collègue…
Bernard Caelen: Tous les métiers qui côtoient la mort ont cette façon de manier l'humour qui leur permet de mettre une certaine barrière. Cela dit, on est évidemment très respectueux vis-à-vis des corps qui nous sont légués. On arrive à travailler sérieusement dans une bonne ambiance.
GUIDO: Vous semblez complètement épanoui dans votre boulot?
Bernard Caelen: J'estime que je fais un métier intéressant et important. On aide en effet la science à avancer. Notre responsable, le Dr Benoît Lengelé, a initié la première greffe mondiale du visage. Ce n'est pas rien d'y avoir participé, même si nous n'étions qu'un infime rouage de la machine. On permet également aux personnes qui ont légué leur corps à la science d'accomplir leurs dernières volontés: aider leur prochain par-delà la mort (ndlr: le numéro de téléphone pour ceux qui seraient intéressés de léguer leur corps à la science: 02/764.52.40)
GUIDO: Il n'y a jamais de lassitude qui s'installe, même après douze ans de métier?
Bernard Caelen: Chaque année, c'est en quelque sorte la même routine qui recommence, avec les travaux pratiques, les mêmes gestes techniques, … Mais, comme nos activités sont très nombreuses et variées, cela nous permet de ne pas faire tous les jours la même chose.
"Docteur" Caelen et Mister Garp
A côté de son métier de prosecteur, Bernard Caelen s'est pris de passion pour la photo il y a quelques années. Sous le pseudo d'Irving S.T. Garp (en référence à l'écrivain américain John Irving et son roman Le monde selon Garp), il signe des photos originales et décalées.
«Je me suis toujours senti l'âme d'un artiste. J'avais envie de faire de la photographie depuis longtemps. La seule chose qui me retenait, c'est que je n'avais pas de matériel.» L'achat d'un appareil-photo plus tard, il commence à mettre en scène des scénarios plus abracadabrantesques les uns que les autres. «Une série de photos s'appelle Le corps décortiqué (ce n'est pas un hasard quand on connaît sa profession!) et met en évidence toutes les parties du corps humain d'une manière originale.»
Il ne lui a donc pas fallu longtemps pour se lancer et commencer à diffuser ses œuvres sur Internet (voir lien ci-dessous). «A ma plus grande surprise, cela a rapidement pris une certaine ampleur». Notamment grâce aux modèles amateurs (recrutés dans la rue ou sur la toile) qui aiment poser dans les mises en scène proposées par le photographe. «Je mets mes modèles en danger et pas toujours en valeur, ce qui est plus facile avec des amateurs que des professionnels ou des semi-professionnels. Pour Portraits cachés par exemple, je m'entoure de modèles qui aimeraient poser dénudés, tout en ne voulant pas être reconnus.»
Une exposition sera consacrée aux travaux d'Irving S.T. Garp (et de Laetitia Cirilli) du 21 mars au 7 avril à l'Espace Provisoire (16, rue Martin V à 1200 Bruxelles sur le site de l'UCL).
Plus d'infos sur www.wix.com/irvingstgarp/pictures