ERIC BOSCHMAN: Un parcours vins sur vins
Quand le sujet du vin est abordé en Belgique, on pense immédiatement à Eric Boschman, cet œnologue averti qui distille ses précieux conseils à la télé ou dans la presse écrite et à qui aucune distinction n'a encore échappé. C'est dans une ambiance détendue que nous avons égrené avec lui les quelques étapes importantes de son parcours sans faute.
GUIDO: Quel souvenir gardez-vous de vos études à l'école hôtelière de Namur?
Eric Boschman: Je suis comme beaucoup de vieux: au départ, mes études m'ont beaucoup, beaucoup fait chier. Et plus le temps passe, plus je me dis que c'était finalement bien! Alors que la première année en internat a été difficile, j'ai plutôt eu du mal à rentrer chez mes parents dès la deuxième année. Je suis très content d'avoir fait cette école. Une école de la vie en quelque sorte.
GUIDO: Apparemment, vous êtes sorti de ces études avec une certitude: que vous ne vouliez pas faire l'œnologie, ce qui est assez paradoxal quand on connaît la suite de votre carrière!
Eric Boschman: Ce n'est pas tout-à-fait vrai! Je suis effectivement sorti en ne sachant pas ce que je voulais faire. Je savais seulement que je ne serais jamais cuisinier. Je m'imagine souvent comme une boule de flipper; il y a un jour quelqu'un qui a tiré l'élastique (mes parents), ça m'a propulsé et j'ai depuis beaucoup rebondi (essentiellement de femme en femme). Ce sont surtout les femmes qui m'ont formé. Donc, petit à petit, je me suis intéressé au vin.
«Mon job, c'est de dire aux gens: éclatez-vous!»
GUIDO: Vous avez travaillé ensuite dans de prestigieuses maisons, comme Romeyer ou Bruneau, alors triplement étoilés au Michelin.
Eric Boschman: A cette époque-là, on était encore fier de rentrer quelque part pour bosser. Mes parents étaient tout fous! Comme si j'avais été consultant chez McKinsey dans une famille d'ingénieurs. Dès le départ, une sorte de consécration. J'ai commencé chez Romeyer comme commis, je me suis ensuite retrouvé chef de rang pour finalement aider le sommelier. Ensuite est venu Bruneau, l'année où j'ai été sacré Meilleur Sommelier de Belgique.
GUIDO: Vous avez beaucoup bougé au cours de votre carrière…
Eric Boschman: Le travail du sommelier est assez routinier. Etant donné que j'ai toujours eu un problème avec la routine, j'ai beaucoup changé d'établissement au cours de ma carrière. J'ai en effet toujours fait des choix de plaisir avant de faire des choix économiques, donc quand je n'en pouvais plus, je partais. A L'Oasis (ndlr: qui est maintenant le Parc Savoy) par exemple, un client m'a regardé de travers quand je lui ai proposé un vin espagnol, ce qui était plutôt rare à l'époque. Je suis alors directement voir le directeur pour lui dire que si je ne partais pas immédiatement, je risquais de tuer un des clients! Je voulais bien faire la une des journaux, mais pas pour meurtre!
GUIDO: Vous êtes ensuite passé par La Manufacture, une brasserie de luxe.
Eric Boschman: On m'a donné la possibilité de m'exprimer pleinement à La Manufacture. Ils m'ont en effet accordé un budget d'un million de francs belges pour me constituer une cave. En un an, on est arrivé à un stock de deux millions et demi en cave. Ils m'ont alors gentiment demandé d'arrêter les frais! On travaillait là-bas à deux sommeliers, ce qui est unique en Belgique et on a conçu une carte à 50% française et 50% étrangère.
GUIDO: Deux ans plus tard, vous ouvrez votre propre établissement, le Pain et le Vin. Une nouvelle aventure?
Eric Boschman: J'ai fondé cette adresse avec Alain Coumont, l'homme derrière Le Pain Quotidien. Cela a de nouveau suscité une certaine fierté chez mes parents. Pratiquement chaque membre de ma famille possède en effet son restaurant. J'y suis resté jusqu'à un grave accident de la route en 1999 qui m'a obligé à rester immobilisé pendant quatre mois. Quand je suis revenu au restaurant, les choses avaient tellement changé que je suis parti.
GUIDO: C'est alors que vous avez créé la Food and Wine Academy. Quel en est le concept?
Eric Boschman: La Food and Wine Academy propose des cours d'alcoolisme, des cours d'obésité, de faire le clown pour les entreprises… Pour être plus sérieux, le but de cette académie est de donner de l'information en la sucrant, en la faisant un peu plus rigolote. Je crois en effet beaucoup au concept d'infotainment. Mon job est de dire aux gens: «Eclatez-vous, faites-vous plaisir, arrêtez de penser qu'il faut boire avec modération. Ce qui est important, c'est l'ivresse». A condition de ne pas conduire après, évidemment, il ne faut pas être idiot.
«Le pinard, ce n'est pas juste une bouteille, mais aussi tout ce qui va derrière»
GUIDO: Vous apparaissez beaucoup à la télé, notamment dans Sans chichis. Est-ce là quelque chose qui vous amuse particulièrement?
Eric Boschman: Je pense être une véritable bête de médias. J'adore ça. Même si je n'aime pas me voir ou m'écouter. Que ce soit à la télé, en radio ou dans l'écriture, j'ai essayé de trouver mon système, qui consiste à être le plus spontané possible. Je suis donc un très mauvais comédien, incapable de jouer la comédie, même si je mens très bien à mes femmes!
GUIDO: Et la notoriété est-elle facile à gérer?
Eric Boschman: Celui qui ose dire que la notoriété le dérange est un gros menteur. ça me fait même plutôt plaisir qu'on m'aborde dans la rue. Hier, alors que j'étais en train de boire un verre avec ma petite amie, un homme m'a apostrophé pour me dire qu'il adorait ce que je faisais et qu'il avait acheté une bouteille que j'avais conseillée en télé. Je trouve cela génial, c'est pour ce genre de choses que je fais mon métier. La notoriété est utile quand on peut la mettre au service de quelque chose.
GUIDO: Imaginons qu'un étudiant vous dise qu'il n'aime pas le vin, qu'auriez-vous envie de lui répondre?
Eric Boschman: Premièrement, je lui dirais: «ce n'est pas grave», on ne peut en effet pas tout aimer. Mais je lui dirais aussi que s'il n'aime pas le vin, c'est qu'il n'a pas encore goûté celui qui lui convenait. Il suffit d'un déclic, ça a été la même chose pour moi. J'essaierais sans doute de lui expliquer que c'est un monde à part entière, que ce n'est pas juste la boisson qui est intéressante, mais c'est la culture qui va avec. Par exemple, un étudiant qui fait de la compta, il est tellement dans son domaine que si on lui dit 1515, il ne pense pas à Marignan, mais au taux de TVA d'un pays lambda! Ce qui démontre qu'on a perdu cette notion de culture universelle. Justement, dans le monde du vin, on est dans la notion d'universalité et de connaissance globale. Je m'explique: pour connaître le vin, il est utile d'avoir des notions de géologie, de géographie, de biologie, de chimie, de législation, d'histoire, de sociologie, … Tout ça se mêle; le pinard, ce n'est pas juste une bouteille, mais aussi tout ce qui va derrière. Voilà en quoi consiste mon boulot.
GUIDO: Pour un amateur, acheter une bouteille de vin dans un grand magasin relève du parcours du combattant…
Eric Boschman: La majorité des gens choisit son vin en fonction des étiquettes et du prix. Justement, on essaie d'y remédier grâce à une nouvelle séquence dans Sans chichis. On a en effet lancé une première mondiale: une dégustation virtuelle. On demande donc aux spectateurs d'acheter une bouteille bien spécifique avant la séquence et le jour venu, on la déguste tous ensemble, par écrans interposés, et on leur demande de réagir par Internet.
GUIDO: Y a-t-il une façon idéale de déguster un verre de vin?
Eric Boschman: Une bouteille de vin, c'est quelque chose qui se partage, entre amis. Si on boit sa bouteille tout seul, ça fait tout de suite fonctionnaire à la Communauté Française! Entre amis, on a souvent les mêmes goûts, on peut donc partager plus facilement. Je parle bien de vin, pas des filles, ça c'est plus difficile à partager!