Interview de la dessinatrice SARAH GLIDDEN
Sarah Glidden a toujours voulu devenir dessinatrice. Dans un studio de Brooklyn, New York, elle a cherché avec d'autres jeunes dessinateurs son propre style. Elle avait alors 25 ans et produisait des mini comics sur sa vie quotidienne. Jusqu'à ce qu'elle décide de partir en Israël, à la recherche d'inspiration pour une sorte de journal de bord en forme de BD. Une idée en or. Son récit de voyage est le graphic novel de l'année et sa traduction en français (Comment comprendre Israël en 60 jours (ou moins)) semble suivre le même chemin.
Lors de son marathon promo à travers l'Europe, Sarah est passée par Bruxelles. Elle trépignait d'impatience de visiter la capitale européenne de la BD. «J'avais réellement envie de venir à Bruxelles,» nous confie-t-elle. «Tout à l'heure, j'irai d'ailleurs visiter le Musée de la BD et j'ai pu remarquer que plusieurs murs de la capitale sont ornés de personnages de BD. Super! Je suis une grande fan du style belge. On peut le remarquer dans mon œuvre: je suis plus influencée par la Ligne Claire que par les comics américains.»
Voyage gratuit grâce à Birthright Israël
GUIDO: Vous avez voyagé vers Israël avec Birthright. Expliquez à nos lecteurs non juifs en quoi cela consiste?
Sarah: C'est une compagnie qui propose un vol gratuit vers Israël aux jeunes juifs de 18 à 26 ans qui n'habitent pas en Israël et n'y sont jamais allés. Birthright a été créée en Amérique, mais c'est une compagnie internationale. On a également rencontré des groupes Birthright russes, par exemple. Quand on y participe, il ne faut pas s'attendre à des vacances gratuites où tout est permis. C'est un voyage accompagné avec un certain nombre d'arrêts obligatoires.
GUIDO: Birthright n'est donc pas une initiative émanant de l'état d'Israël?
Sarah: Non, mais Israël règle un tiers des coûts, bien qu'ils aient été récalcitrants au départ.
GUIDO: Vous vous êtes inscrite, tout en étant relativement sceptique sur la démarche.
Sarah: J'étais en effet sceptique, mais j'avais une autre mission. Je venais de commencer à faire des bandes dessinées. Une sorte de carnet de bord autobiographique, qui commençait petit à petit à m'ennuyer. Je voulais mettre en route un projet plus important, tout en ne sachant pas quelle en serait son essence. Un jour, alors que je discutais avec ma mère d'Israël et de tout ce qui s'y passe, elle m'a conseillé - à juste titre - de m'y rendre pour constater la situation de mes propres yeux avant d'émettre un jugement. En plus, j'étais encore assez jeune pour participer à un voyage de Birthright. Je n'avais jamais eu envie d'y prendre part, car j'assimilais cela à de la propagande, mais j'ai pensé: ah ah, il y a peut-être de la matière à faire un bouquin.
GUIDO: Les gens de Birthright étaient-ils au courant que vous partiez dans le but d'écrire une BD?
Sarah: Oui, j'ai toujours été honnête là-dessus. Je pouvais difficilement le cacher, car j'étais tout le temps en train de griffonner dans mon bloc-notes. J'étais cette fille étrange qui écrivait une bande dessinée sur le voyage, mais après deux jours personne n'y prêtait plus attention. Je pense même qu'ils ne me croyaient pas vraiment. (rires) A ce moment-là, je n'avais pas encore fait mes preuves en tant qu'auteur de BD.
Un rêve qui se réalise
GUIDO: Qu'est-ce que vous griffonniez dans ce carnet? Une première version du scénario? Des esquisses?
Sarah: Quelques esquisses, mais le plus souvent de simples notes. J'écrivais ce que les gens autour de moi me racontaient tout en essayant de mettre mes propres pensées sur papier afin de pouvoir évoquer plus tard mon état d'esprit du moment. J'ai également pris beaucoup de photos, qui m'ont servi de base pour les décors.
GUIDO: Vos préjugés ont-ils été confirmés sur place?
Sarah: Non, ce fut un trip surprenant. Le guide se révéla être plutôt de gauche, il a en effet parlé de la question de la Palestine dès le premier jour. Il n'y avait pas de sujets tabous, bien qu'ils insistaient sur le fait qu'ils ne pouvaient raconter l'histoire que du point de vue israélien. C'était Birthright Israël, et pas Birthright Palestina. J'ai beaucoup de respect pour cette ouverture. Je ne m'étais pas attendu à ça.
GUIDO: Comment comprendre Israël en 60 jours est devenu un livre de deux-cents pages, bien que vous ayez commencé par rédiger de petits chapitres que vous imprimiez et distribuiez vous-même.
Sarah: Eh bien, je n'aurais jamais imaginé qu'un éditeur soit intéressé. Je fabriquais moi-même mes mini comics, avec des agrafes, qui étaient distribués aux States par les magasins de BD et les salons indépendants. C'est de cette façon que j'ai publié mes deux premiers chapitres et ai été remarquée par un rédacteur de DC Vertigo lors d'un salon à New York. Deux jours plus tard, je recevais un mail m'apprenant qu'ils désiraient en faire un graphic novel. Une super nouvelle naturellement. Et que mon livre soit publié et traduit dans le monde entier, c'est naturellement un rêve qui se réalise pour une jeune dessinatrice comme moi.
GUIDO: Les carnets de voyage en format BD sont-ils votre truc? Sarah Glidden est-elle un sorte de reporter globe-trotter?
Sarah: Je ne pense pas. Je veux encore faire beaucoup d'autres choses. Cela m'importe peu que les gens veuillent me mettre dans une case. 'Reporter globe-trotter'… (rires) Je veux simplement écrire des bandes dessinées à propose de mon quotidien. On verra de quoi il sera fait à l'avenir.
GUIDO: Vous travaillez avec d'autres auteurs de BD dans un atelier de Brooklyn. Pensez-vous vous influencer entre vous? Sarah: C'est inévitable. Et cela ne vaut pas seulement pour un atelier de BD, c'est également le cas pour tous les lieux où des artistes créent au même endroit. On ne pique pas le travail des autres consciemment, mais on s'échange inévitablement des idées ou des techniques. Dans notre studio, on dénombre des styles totalement différents, mais c'est très rafraîchissant et inspirant de discuter de nos idées entre nous.
GUIDO: Vous êtes critiques entre vous?
Sarah: Je suis folle du travail de tous les membres de notre atelier, ce qui ne veut pas dire que je ne suis pas ouverte aux critiques constructives. Quand on n'est pas sûr de soi, on peut immédiatement demander l'avis d'un collègue. On s'aide beaucoup entre nous.
La bande dessinée belge
GUIDO: Vous lisiez des bandes dessinées belges pendant votre enfance à New York?
Sarah: Et comment! Il y a beaucoup d'Américains qui ont grandi avec Tintin.
GUIDO: Ah bon? Je suis surpris, car je pensais que les Américains n'avaient aucune idée de qui était Tintin avant que Spielberg n'en fasse une adaptation cinématographique.
Sarah: Tous les jeunes dessinateurs de BD américains que je connais sont fans de Tintin. Et pas seulement d'un point de vue professionnel, mais depuis leur plus tendre enfance. Et c'est la même chose avec les Schtroumpfs. Les BD de Peyo sont savoureuses. C'est une honte que la plupart des Américains ne sachent pas que les Schtroumpfs ont été créés en Belgique.
GUIDO: Ne m'en parlez pas, il y a aussi beaucoup de Français qui pensent que Tintin vient de France, alors que c'est un véritable ket bruxellois.
Sarah: (rires)