MARC COUCKE, fondateur et CEO de Omega Pharma: Interview
Un cyclotouriste après les classiques du printemps va-t-il chez le pharmacien pour une boîte de Davitamon? Marc Coucke en serait bien content. L’homme en question n’a pas encore 40 ans mais est à la tête d’une multinationale qui compte plus de 2.000 personnes. Il a démarré l’entreprise lui-même, du coffre de sa voiture, il y a maintenant 16 ans. Omega Pharma est maintenant le leader dans la vente de produits de beauté et de santé. Des prévisions de croissance un rien trop optimistes représentent le seul faux pas dans une success-story indiscutable, à la bourse comme à la pharmacie.
Coucke: J’ai tout d’abord étudié la pharmacie et ensuite j’ai été à l’école de Management de Vlerick, tout cela à Gand. Je n’ai jamais été en kot, j’étudiais chez mes parents. J’avais quand même une vie sociale très active. Pendant quelques années, j’ai été président de Pharma et j’ai été aussi président à Vlerick. Je bloquais vraiment au moment où il fallait bloquer... et c’était aussi nécessaire. Je sortais beaucoup. Je connais les cafés de Overpoort, j’y restais trois soirs par semaine, jusque tard dans la nuit.
Plus ou moins 100 millions GUIDO: Est-ce que tu as eu dès le début envie de démarrer ta propre entreprise?
Coucke: Il y a d’abord eu l’armée, j’ai appartenu à une des dernières classes. J’ai commencé à étudier la pharmacie pour suivre les traces de «papa». Pendant mon service militaire, j’ai connu un autre pharmacien (Yvan Vindevogel – DDW) qui m’a convaincu de fonder une entreprise pharmaceutique ensemble. Omega Pharma a débuté pendant notre service militaire. Le service militaire en tant que pharmacien était très léger, avec seulement quelques heures par jour. On avait beaucoup de temps libre et il n’y avait donc pas de risques à monter une entreprise. A cette époque, on vendait seulement du shampooing, dans des bidons de 5 litres. Le matin était consacré au service militaire et l’après-midi, je chargeais le shampooing dans la voiture et je visitais les pharmacies. La facture était directement faite et l’argent rentré.
GUIDO: Quand as-tu décidé de t’agrandir, de ne pas continuer avec ta propre petite entreprise?
Coucke: Je ne sais pas. Pendant les premières années, il n’y avait pas de plan précis pour s’agrandir. Ce que nous savions, c’est que nous voulions réaliser un chiffre d’affaires de 50 millions d’anciens francs. A partir de la troisième année, les bancs solaires sont venus s’ajouter à la liste de nos produits, Uvesol, qui est encore le leader sur le marché. Mais, on trouvait qu’on devait aussi engager un comptable, un magasinier et des représentants. C’est pourquoi on avait compté qu’on devait réaliser un chiffre d’affaires de 50 millions. Mon associé et moi, on ne s’est accordé aucun salaire pendant les cinq premières années. On vivait tous les deux chez nos parents, les plus grands sponsors de Omega Pharma. Chaque franc était réinvesti. Omega Pharma a démarré avec 300.000 francs, 150.000 que j’avais emprunté et 150.000 que mon associé avait emprunté. Autrefois, il y avait une bourse importante pour les pharmaciens. On était là-bas avec le stand le plus petit possible, avec notre ancien slogan ‘par les pharmaciens, pour les pharmaciens’, nos produits n’étant disponibles que dans les pharmacies. Pendant ces trois jours, beaucoup de pharmaciens sont passés, presque autant que chez les grands stands. On a alors commencé à croire qu’on pourrait en faire quelque chose de grand, qu’il fallait continuer, qu’on avait le droit d’exister. On a alors grandi. Et, en 1993 ou 1994, il y a un gros groupe néerlandais qui voulait nous racheter 100% des actions. On avait alors 100 millions de chiffre d’affaires et une vingtaine d’employés. Ce fut une charnière très importante. Mon associé voulait vendre mais moi pas, ça ne m’intéressait pas, on venait de commencer. Comme je ne voulais pas vendre, il m’a demandé le même montant que celui que me proposaient les Hollandais: 100 millions de francs pour sa moitié des actions. Ce sont les 48 heures de réflexion tristement célèbres. J’avais 29 ans et j’avais deux jours pour décider entre plus 100 millions sur mon compte, ou moins 100 millions. Ce fut en fait de loin le choix le plus difficile de toute ma vie.
La bourse comme tremplin
GUIDO: Il n’y avait alors plus d’autre choix à faire? Par cet investissement, tu étais obligé de continuer jusqu’au bout?
Coucke: A partir de ce moment, nous avons dû évoluer avec un actionnaire principal qui avait des dettes importantes. Après 6 mois, j’ai pris conscience que ce n’était pas bon pour l’entreprise. L’entreprise était la ‘vache à lait’ au service de l’actionnaire. C’est pour cette raison que j’ai revendu 25% à un grand venture capitalist et 3% à la direction de l’époque. C’est alors que nous avons pensé à aller en bourse, ce qui nous avons fait en 1998. C’était une année exceptionnelle pour la bourse, tout grimpait. Même une petite entreprise comme la nôtre pouvait rentrer en bourse. On a réalisé un chiffre d’affaires de 400 millions de francs et nous avons alors fait notre premier rachat, une entreprise avec 300 millions de chiffre d’affaires. Ensuite, nous avons utilisé la bourse comme tremplin pour continuer à faire des rachats. Le plus important, c’est que nous n’avons jamais rien fait hors de la Belgique jusqu’à la fin de l’année 1999. Nous voulions d’abord avoir notre marché intérieur sous contrôle. En 2000, en accord avec tout le personnel, nous avons jugé être prêt. Nous avons fait un tour de table par service pour savoir s’ils se sentaient prêts. Grâce à cela, nous avons pu continuer à nous développer en Belgique malgré l’attention portée à l’étranger. Nous avons examiné pays par pays le marché de l’OTC (‘over the counter’, des produits vendus librement dans les pharmacies – DDW). Il semblerait qu’il y aie des milliers de firmes en Europe, le marché est énormément fragmenté. Nous étions d’avis qu’il fallait un consolidateur européen, et pourquoi pas un Belge? Trois ans plus tard, il y a encore de l’éparpillement mais nous sommes de plus en plus leader sur le marché. Il y a dans le top 10 des divisions de grands groupes qui ne sont pas intéressées par l’OTC. En 2001, on était le douzième en Europe, en 2002 neuvième et cette année, nous serons peut-être cinquième.
Fier dans une pharmacie espagnole
GUIDO: Et maintenant, la question à un million: d’où vient le succès?
Coucke: On ne peut naturellement pas le dire en trois phrases, ou alors tout le monde vendrait du shampooing. Le management, ça consiste à prendre des milliers de décisions et à faire le moins de bêtises possible. Mais si je dois donner quelques conseils... Il faut suivre sa stratégie d’une façon cohérente. Nous avons toujours respecté notre slogan ‘par les pharmaciens, pour les pharmaciens’. Deuxièmement, tu dois t’internationaliser quand tu es prêt à le faire. Troisièmement, nous avons une politique sociale très participative. Les gens chez Omega Pharma sont au courant de tout et savent ce qu’on attend d’eux. Nous avons aussi une politique claire concernant la promotion interne. Dans une entreprise florissante, il y a toujours de nouvelles possibilités. Nous regardons donc d’abord à l’intérieur pour voir s’il n’y a personne qui mérite une promotion. Un autre conseil à ceux qui veulent démarrer: pendant les premières années, il faut essayer de garder tout ce que rapporte l’entreprise. Tu dois pouvoir survivre pendant quelques années sans les revenus de ton entreprise. Au plus une entreprise croît, au plus elle aura besoin d’argent.
GUIDO: Qu’est-ce qui est le plus chouette dans ton job?
Coucke: En ce qui concerne le style de vie, c’étaient les premières années les meilleures. Je vivais une existence insouciante sans beaucoup de responsabilités. Nous étions fous de joie de voir notre chiffre d’affaires monter de 4 à 7 millions de francs. Maintenant, c’est une toute autre histoire. Nous avons 2.200 employés et un chiffre d’affaires de 30 milliards de francs. Et ce n’est pas sans soucis. La satisfaction vient du fait qu’une équipe issue d’un tout petit pays essaie d’être leader sur le marché. Quand je rentre dans une pharmacie en Espagne –quand je pars en voyage, je rentre toujours dans une pharmacie- je vois les produits d’Omega Pharma qui s’y trouvent. C’est une satisfaction énorme. Je suis fier oui, je pense que nous pouvons bien l’être.
Dirk De Wilde